Rapports Fondamentaux de Dominance Sociale : R.F.D.S.
Article publié dans la revue « Cahiers du GEDISST », 1995, n° 13, pp. 109-130
(Groupe d’Etudes sur la Division Sociale et Sexuelle du Travail – CNRS)
RAPPORTS SOCIAUX DE SEXE ET AUTRES RAPPORTS DE DOMINANCE SOCIALE :
POUR UNE INTEGRATION CONCEPTUELLE DES RAPPORTS SOCIAUX FONDAMENTAUX
Pour un chercheur [1] – fût-il en sciences sociales – la construction d’objets théoriques est un passage obligé dans le processus de production de connaissances de type scientifique. On peut même dire que tout processus de connaissance, scientifique ou non, implique un référentiel théorique qui, présent à l’esprit ou non, déjà construit et/ou en cours d’élaboration, cohérent ou bourré de contradictions, se manifeste par l’emploi des catégories classificatoires et des mots, voire d’un style d’énonciation (par ex. à la première personne ou impersonnel), par les références paradigmatiques et les présupposés implicites du discours, cet “horizon épistémique” indépassable. Le problème n’est donc pas “théorie ou pas ?” mais “quel type, genre ou forme de théorie, à quel niveau de formalisation, de généralisation et d’abstraction ?”.
L’objectif du présent article est de contribuer à l’élaboration, nécessairement collective, de ce qu’on pourrait appeler une théorie des rapports sociaux fondamentaux ou de la dominance sociale. Avant d’ébaucher quelques propositions pour un débat, je vais exposer dans quel itinéraire de recherche elles s’inscrivent, et avec quels “outils de la pensée” elles s’élaborent.
Itinéraire de la recherche
Il y a une trentaine d’années, j’ai eu la chance d’être sensibilisé aux problèmes théoriques de la dominance dans le cadre d’un petit groupe de travail informel (que nous appelions le L.S.D. : Laboratoire de Sociologie de la Dominance), dont faisaient partie ces collègues à qui nous devons tant que sont, notamment, Colette Guillaumin, Nicole Mathieu, Josiane Boutet et quelques autres, moins directement concernés par le propos actuel.
Il y a une douzaine d’années, dans le sillage du Colloque National “Recherche et technologie” initié par Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre de la Recherche et Technologie, et plus précisément dans le cadre d’un “Forum de projets en vue de la constitution d’une commission thématique : parenté, âges de la vie, relations entre les sexes” (Paris, Mai 1982), j’avais ébauché une proposition de coordination conceptuelle [2] – dans le même temps où l’Unité de Recherche “Division sociale et sexuelle du travail”, l’ancêtre du Gedisst, proposait l’inscription de ses thèmes de recherche en termes de rapports sociaux de sexe parmi les thèmes fédérateurs d’un “Comité transversal” ou “Front interdisciplinaire stable” en projet de création.
L’intention manifeste de ma proposition était de créer les conditions d’une communication, et si possible d’une coordination, entre des courants de pensée divergents ou contradictoires, entre des faits empiriques divers et multiples, entre des paradigmes variés et contrastés, bref de contribuer à l’élaboration de ce que Merton appelle un “schéma conceptuel plus général [que ses fameuses ‘middle range theories’], susceptible de consolider des ensembles théoriques particuliers et d’en d’assurer la cohésion”. Elle postulait qu’on ne peut étudier les rapports de génération (puisque c’est par ces rapports sociaux-là que j’ “entrais” dans cet objet théorique complexe) sans impliquer conjointement les autres rapports sociaux fondamentaux que sont, notamment, les rapports de classe et les rapports de sexe. Proposition qui repose sur ce postulat préalable qu’il existe un nombre limité de rapports sociaux fondamentaux, justiciables d’une problématique plurielle – transthématique, voire transdisciplinaire – impliquant a priori toutes les institutions sociales et toutes les instances de la pratique sociale multiforme et exprimant sous des formes diverses les aspects complémentaires de la dominance sociale, constitutive de toute société globale. Lequel postulat suppose évidemment qu’on s’accorde sur une définition aussi consensuelle que possible de ce qu’est un rapport social.
Depuis cette date, de nombreux travaux coordonnés ou collectifs ont contribué à légitimer l’analyse scientifique des rapports sociaux de sexe, notamment (et principalement les contributions du Gedisst) dans leur articulation théorique avec les rapports sociaux de classe et la division sociale et sexuelle du travail, ou dans le cadre de Séminaires consacrés aux Rapports sociaux (en général) et à leurs enjeux. [3].
Mes lectures n’ont aucune prétention d’exhaustivité et le présent essai ne s’appuie pas sur un véritable travail bibliographique. D’ailleurs, mes contacts avec cette production sociologique n’ont pas seulement provoqué une prise de conscience de type cognitif, portant sur des éléments théoriques et empiriques nouveaux, mais aussi une prise de conscience sociopolitique, facilitée par le partage solidaire (au moins symbolique) de la condition féminine en milieu intellectuel et du “point de vue féministe” en sciences sociales. Un peu l’équivalent de ce que j’avais éprouvé en 1969 au terme d’un séjour de deux années au Québec, qui m’avait permis de réaliser – au moins par identification partielle – ce que signifiait là-bas pour les francophones l’expression “être les Nègres blancs d’Amérique”.
On peut regretter que la dynamique d’élaboration théorique collective de cette période, notamment les travaux de l’APRE (Atelier Production/Reproduction) cités dans l’Annexe 1, n’ait pas perduré au-delà de la Table ronde internationale de novembre 1987. D’autant plus qu’on commence à voir des travaux, historiques ou comparatifs [4], qui permettraient de situer une telle vision synthétique actualisée de l’ici et maintenant (c’est-à-dire un certain “féminisme à la française”, qui n’est pas celui qu’on désigne comme tel Outre-Atlantique) dans le contexte des hiers et des ailleurs, lequel contexte est parfois désigné sous des vocables différents, tels que women’s studies ou gender studies ou feminist studies, sans qu’il y ait consensus sur l’interprétation à donner à ces nuances terminologiques.
Le présent article consiste donc en quelque sorte à “revisiter” mon ancien texte de 1982 (cité en note de bas de page n° 2) en bénéficiant de mes nouvelles implications de recherche, qui en ont déplacé le point d’entrée : des rapports de génération, qui étaient alors mon principal domaine de recherche – dans une perspective plutôt psychosociologique, vers les rapports sociaux de sexe (je suis rattaché au Gedisst depuis décembre 1991) – dans une perspective plus centrée sur la sociologie, avec le même projet d’une construction théorique multidimensionnelle et transdisciplinaire – sans hiérarchie a priori.
Certes je n’ai pu depuis longtemps procéder à aucune investigation empirique sur l’un quelconque des aspects de la réalité sociale correspondants à ces problèmes théoriques, comme j’avais pu le faire au moins partiellement en 1964 à propos des rapports de génération, de classe et de sexe (en analysant les “processus de maturation sociale” d’une cohorte d’adolescents et jeunes-adultes célibataires, garçons et filles, dans des milieux sociaux contrastés). Mais, est-ce pour me justifier ?, je suis de ceux qui considèrent que les discours sociaux, ceux des chercheurs et des medias et ceux de la rue et des conversations, font aussi partie du “terrain empirique”.
Heuristique : présupposés et “outils de la pensée complexe”
Pour avoir tenté de les expliciter [5], je crois savoir quels sont mes modes d’expression scientifiques habituels ou préférés, quels sont les outils logiques, les conceptions épistémologiques et déontologiques, qui sont à la base de mes élaborations théoriques, comme de mes pratiques méthodologiques (et, plus largement, socio-professionnelles) : mode de conceptualisation “géométrique”, substruction logique des espaces d’attributs, remplacement de la règle classique du tiers exclu par la reconnaissance de l’indéterminable (“ni A ni non-A”, “ni Oui ni Non”), vision du monde tout en complexité dialectique, en “enchevêtrement” de phénomènes et processus interdépendants, en réciprocité de perspectives et en points de vue relatifs, en métastabilité et en potentiels, croyance en l’existence d’un “travailleur collectif” qui transcende nos personnalités individuelles (aussi originales fussent-elles), méfiance à l’égard des méthodes d’analyse statistique de type “spectral” et fréquentiste, à l’égard des découpages et de la ghettoisation des disciplines académiques instituées, etc…
La question peut se poser de savoir s’il y a des différences sexuées dans les modes de construction théorique et les méthodologies pratiqués [6]. On a parfois tendance à opposer le mode géométrique et prométhéen, l’abstraction désincarnée et l’esprit analytique cartésien (qui n’est pas contradictoire avec certaines formes de pseudo-synthèse récapitulative), qui seraient plutôt masculins, d’une part, et le mode impressionniste et empathique, des formes de pensée “fluides” (selon l’expression-clé de Luce Irigaray, notamment [7]), et l’esprit de synthèse (avec certains risques de dérive syncrétique), qui seraient plutôt féminins, d’autre part.
Quelle que soit la validité de ces stéréotypes, imprégnés d’idéologie sexiste, ils ne peuvent constituer que des obstacles provisoires et conjoncturels à la communication, puisque on ne suggère plus guère maintenant, sauf exceptions minoritaires, qu’il pourrait s’agir de caractères inscrits dans le code génétique. Il s’agit bien en effet de stéréotypes et d’idéologie tant qu’on n’a rien démontré ni surtout rien expliqué. Les tentatives n’ont pas manqué, comme à une autre époque à propos de la science dite bourgeoise ou prolétarienne, ou encore actuellement à propos de la science des pays impérialistes et des pays du Tiers-Monde. Mais on confond de moins en moins la revendication d’autonomie des groupes dominés, par contestation nécessaire des abus de légitimité des dominants, d’une part, et le rejet systématique de tout ce qui se prétend “universel” sous prétexte que cet universel n’est souvent (mais pas toujours ?) qu’un camouflage de points de vue dominants – donc spécifiques “eux aussi” – d’autre part.
Obstacles conjoncturels certes, mais obstacles réels dans la mesure où ces “différences” éventuelles ne sont pas symétriques mais sont en fait “marquées” par référence implicite aux modèles dominants (qui, par définition, n’ont nul besoin de s’énoncer) du pouvoir académique institutionnel, dont on sait bien qu’il est globalement “masculiste“. J’introduis ici ce néologisme, comme pendant du féminisme, pour éviter les connotations sexuelles du machisme ou de la misogynie – qui existent aussi dans nos milieux distingués mais qui risqueraient d’occulter des formes de dominance épistémique beaucoup plus insidieuses [8]. Sachant cela et ne manquant aucune occasion de le rappeler, débarrassés de tout complexe, chercheurs masculins et féminins (et conjointement du Nord et du Sud, de l’Occident et de l’Orient [9], exploiteurs et exploités, soi-disant “white” and “coloured” [10], etc…, bref toutes catégories de dominants et dominés) pourraient contracter alliance dans un même combat épistémologique, à la recherche de nouvelles postures sociocognitives, de nouveaux corpus théoriques et méthodologiques, de nouvelles problématiques de recherche, pertinentes pour tous, qui ne puisssent être confisqués par aucun pouvoir occulte [11].
Au risque d’être pris pour des scientistes naïfs, on poserait en préalable déontologique que tout protagoniste d’un débat scientifique devrait expliciter autant que faire se peut les présupposés des “outils de sa pensée”. Condition nécessaire pour que puissent se comprendre mutuellement des personnes ou équipes qui raisonnent systématiquement en oppositions binaires (en propositions alternatives “ou bien … ou bien …”, “vrai ou faux”, etc…), sur des types d’objets et de processus “calculés” selon une méthodologie fréquentiste et par simple juxtaposition additive, dans les limites prudentes des disciplines reconnues (fût-ce avec recours à des configurations pluridisciplinaires), et d’autres qui s’efforcent de dépasser ces conventions dominantes par référence à des structures de catégorisation plus complexes (par exemple le modèle des structures d’opposition dit “hexagone logique” de Blanché, ou la “classification à facettes” de Gutman), sur des classes d’objets et de processus conçus comme interdépendants et construits selon une méthodologie multidimensionnelle (mode de construction multiplicatif), voire dans le cadre ambitieux de projets transdisciplinaires [12] ?
Une telle proposition pourrait compléter utilement les dispositifs de recherche plus ou moins autonomes, tout aussi nécessaires et pertinents, que se donnent certains mouvements sociaux d’émancipation des groupes dominés (féministes, minorités dites “raciales” ou ethno-culturelles, mouvement et syndicalisme ouvriers, tiers-mondistes, chômeurs et exclus, écologistes, etc…) ?
Pour rendre possibles ces nécessaires échanges d’explicitation préalable, notre code de déontologie inviterait à modérer les procès d’intention (ou, devrait-on dire plutôt, les procès d’imputation) qui distribuent a priori les vices et les vertus, les qualités et les défauts, selon que l’on se trouve par assignation statutaire “du bon ou du mauvais côté”. Celles et ceux qui se considèrent un peu comme des hermaphrodites (ou des métis,…) du point de vue de leurs pratiques socio-cognitives, ressentent en effet une double incompréhension, inconfortable, en provenance des courants de pensée dominants et dominés. Par exemple, en ce qui me concerne, certain(e)s me reprochent un formalisme trop géométrique et le recours à des techniques de traitement de l’information jugées trop hard, liés à une conceptualisation trop abstraite – d’autr(e)s me reprochent l’adhésion à des logiques jugées trop “soft”, non classiques, non binaires, à des cosmologies dialectiques du genre “yin-et-yang”.
J’ai la faiblesse de croire que ces différents modes de pensée, à partir du moment où ils s’exercent en pleine conscience et sous contrôle des “pairs” (pairs moins égaux, il est vrai, qu’il n’est dit ou supposé), sont au moins a priori tous légitimes et non hiérachisables, voire complémentaires et nécessaires – indépendamment de nos statuts respectifs de “classe”, “sexe”, “ethno-culture”, “âge”, etc… A condition, bien entendu, de rétablir l’équilibre rompu par les rapports de force institués en faveur des conceptions et pratiques dominantes, qui ont pour elles la légitimité fallacieuse de l’ “évidence”. J’ose espérer que ce plaidoyer oecuménique ne sera pas interprété comme une ruse de plus, après tant d’autres, pour amener subrepticement celles de mes collègues qui revendiquent des modes d’expression spécifiquement féminins vers des modes d’expression qui, sous couvert d’universalisme, ne seraient que des spécificités masculines. S’agissant de l’analyse des rapports sociaux de sexe, domaine presque exclusivement investi par des sociologues femmes et/ou féministes, ce serait un comble !
Vers une problématique des rapports fondamentaux de dominance sociale.
Quelques pistes de réflexion pour leur intégration conceptuelle
Revisiter, c’est en fait reconstruire ou, plus modestement pour le présent exercice, s’assurer que les fondements sont encore valides et préparer les plans d’une nouvelle construction théorique [13]. Si l’ordre d’énonciation des rapports sociaux s’est déplacé dans l’intitulé, des rapports de génération vers les rapports de sexe, cela n’implique aucune permutation de rang hiérarchique dans la problématique mais tout au plus un peu d’opportunisme pour capter l’attention des féministes. Et si je n’énumère plus – dans le titre du présent article – les “principaux autres rapports sociaux fondamentaux”, c’est sans doute parce que je suis un peu plus conscient des effets pervers de toute énumération, même non exhaustive. En 1982 je n’avais intégré explicitement que depuis peu d’années les rapports sociaux de sexe dans mes principaux cadres de référence conceptuels – en dépit d’une familiarité certaine (mais sans doute trop “extérieure” : statut masculin oblige !) avec ce concept et avec le mouvement féministe, et d’une perception vigilante des discriminations sexistes dans presque tous les domaines de la pratique sociale.
Et voilà que maintenant je m’interroge de plus en plus sur ces autres rapports sociaux fondamentaux qui crèvent quotidiennement les écrans de télévision et autres supports médiatiques, par leur logique d’exclusion guerrière et de “purification ethnique” : qu’on les appelle ethnoculturels ou nationalitaires dans l’ex-URSS et l’ex-Yougoslavie ou en Palestine, ou ethnoreligieux en Irlande ou au Liban, ou ethnoraciaux en Afrique du Sud, ces conflits ne sont-ils ou n’étaient-ils que des survivances accidentelles d’une histoire humaine en voie de pacification universelle ? Ou font-ils partie au moins potentiellement des principaux antagonismes fondamentaux, jamais éradiqués définitivement et susceptibles de prendre des formes de conflits plus ou moins “civilisées” (comme les guerres économiques entre les grands blocs géopolitiques, ou comme les “guerres saintes” des fondamentalistes sectaires de toute obédience, etc…), donc à prendre absolument en considération dans toute construction théorique de portée généralisable.
Ce faisant et ce disant, je vois poindre une objection : à vouloir trop embrasser dans un projet de construction théorique générale aussi ambitieux, on risque tout simplement de noyer le poisson – en l’occurrence ici, dans ces Cahiers du Gedisst, le poisson des rapports sociaux de sexe, avec leurs enjeux sociopolitiques d’émancipation des femmes. Un peu à l’image de l’objection qu’on entendait aux débuts du féminisme contemporain, relativement aux rapports de classe (socio-économique), ou de la critique qu’on peut adresser à toute tentative de masquer certains rapports sociaux par d’autres, estimés plus fondamentaux (par exemple, actuellement, déclarer la fin de la lutte des classes au bénéfice soit de la guerre des sexes soit des conflits de générations soit des conflits ethnoculturels). Autrement dit, le spectre d’une hiérarchisation des rapports sociaux antagoniques, et par voie de conséquence d’une priorisation stratégique des “fronts de lutte”, peut constituer un obstacle à toute théorisation fondée sur le postulat d’une interdépendance irréductible entre plusieurs types de rapports sociaux, conçus au moins a priori comme ne pouvant “fonctionner” que les uns par les autres, de manière entrelacée, enchevêtrée, inextricable,….
L’interdépendance des rapports sociaux de sexe et de classe (au sens restreint usuel de “classe sociale”) est largement reconnue par les auteures auxquelles je me réfère plus haut, même si parfois les exigences du combat féministe ont tendance à gommer un peu les antagonismes de classe. D’autre part, le livre de Maurice Godelier [14] a exercé une grande influence dans ces débats féministes de la fin des années 1980 : sa redéfinition dialectique des rapports entre les deux composantes (matérielles et idéelles) constitutives de tout rapport social semble avoir détrôné le paradigme marxiste classique des instances hiérarchisées en infra- et super-structure, y compris dans sa dernière version, althussérienne, des A.I.E. (Appareils Idéologiques d’Etat).
Mais, selon une certaine conception – disons unilatéralement matérialiste pour dire vite – des rapports sociaux, les études féministes ne semblent pas réussir à fonder les rapports de sexe sur des bases aussi “objectives” que le sont les statuts socio-économiques dans le couple antagonique Capital/Travail, même en postulant (comme C. Delphy) l’existence d’un Mode de Production Domestique combiné [15] au M.P.C..Ces difficultés théoriques se manifestent dans les avatars du concept de “reproduction”, accolé à celui de “production”, supposé incontournable et intangible, et dans les discussions qu’il suscite (cf. par exemple le Cahier n° 3 de l’APRE, septembre 1985, cité dans l’Annexe 1). On les trouve également exprimées dans plusieurs travaux portant sur le thème connexe de l’articulation entre système productif et structures familiales, tels que par exemple ceux d’un Groupe ad hoc pour le Congrès Mondial de sociologie, Mexico, 1982, publiés en 1984 sous le titre “Le sexe du travail” (cf. Annexe 1) et une partie significative des travaux du GEDISST, portant sur la division sociale et sexuelle dans le travail, salarié ET domestique [16].
Ce que trahit d’abord une éventuelle analogie économiciste, c’est son caractère dissymétrique, à savoir le fait que ce sont les rapports de classe qu’on prend(rait) comme modèle prototypique pour les autres (ceux dits de sexe ou de genre) et non l’inverse, modèle dont les composantes et les facettes constitutives bénéficient d’une longue tradition d’analyses et de conceptualisations – principalement mais non exclusivement dans le contexte des recherches marxistes (par exemple, classes en soi et classes pour soi, topique de l’infrastructure des rapports de production et des superstuctures idéologique, juridique et politique, etc…). Ce n’est pas seulement la perte, récente, de crédibilité des projets politico-économiques alternatifs de “sociétés sans classe” qui délégitime le recours à ce prototype général d’analyse en termes de rapports sociaux de production/reproduction. C’est, plus fondamentalement, le refus théorique d’ “étayer” (comme disent les psy.) toute problématique en termes de rapports sociaux sur l’une quelconque de ses manifestations, considérée comme la “structure référentielle de base”.
De même l’articulation du “sexe social” au “sexe biologique” poserait moins de problèmes si elle n’était pas toujours orientée à sens unique, non dialectique. Etant donné les dérives idéologiques connues d’un certain “naturalisme”, la recherche d’un fondement “objectif” des rapports sociaux de sexe dans ces “différences évidentes” que le sens commun (s’appuyant sur un biologisme primaire) perçoit entre les deux “sexes anatomiques” est également problématique – et toujours en débat [17]; d’où la nécessaire spécification sociale des rapports de sexe (avec dénégation de tout fondement biologique) et la préférence de certaines à parler de “genres”, avec des connotations plutôt linguistiques et culturelles.
J’ajouterai en corollaire qu’il est prudent de ne pas exclure a priori et sans examen sérieux tel ou tel type de rapport social de la liste des rapports fondamentaux – sous peine de tronquer prématurément la problématique synthétique de leurs interdépendances. Or tel est le sort qu’on réserve généralement aux rapports de génération, soit en les ignorant soit en leur déniant la propriété de fondamental attribuée à quelques autres [18].
Il serait vain et prématuré de proposer d’emblée des critères univoques de définition de ces rapports sociaux fondamentaux dont on souhaite pouvoir ensuite esquisser une analyse des fonctionnements entrelacés. Au moins pourra-t-on essayer de travailler sur ces concepts et sur les réalités qu’ils recouvrent, c’est-à-dire de les traiter “en intension et en extension” (comme disait Canguilhem), et selon leurs “dimensions paradigmatique et syntagmatique” (comme disent les linguistes).
En intension et en extension, c’est-à-dire approximativement dans leurs rapports de signification/différenciation au sein de réseaux lexico-sémantiques et dans leurs manifestations empiriques, extensives, au sein de l’ “espace-temps”.
Dimensions paradigmatique et syntagmatique, c’est-à-dire articulations croisées sur l’axe des déclinaisons (par ex. de spécification) et sur l’axe des compositions structurelles : à peu près comme un menu de restaurant, composé de quelques grands types de plats et de boissons – chacun d’eux pouvant se décliner en plats et boissons spécifiques, plus ou moins compatibles.
L’opération est complexe, et risquée. Je ne vais d’ailleurs que l’ébaucher, sous la forme d’un tableau exprimant les principales relations sémantiques qu’on peut proposer d’établir à partir du syntagme ” Rapport Fondamental de Dominance Sociale “. Etant bien entendu que cette expression n’est pas un point de départ originel, pas plus d’ailleurs qu’un point d’arrivée terminal, mais bien plutôt une étape provisoire dans une dynamique de conceptualisation ininterrompue.
TABLEAU I
Syntagme principal |
Propriétés ou Synonymes |
Pôles complément. en interact. dialect. |
Antonymes |
Axe Paradigmatique principal |
RAPPORTS |
rapports structurels entre groupements – macro-sociétal<== |
relations face-à-face entre personnes – ==>micro-social |
|
|
FONDAMENTAUX
de |
constitutifs, multifonctionnels, fondateurs – originels, transversaux |
|
Contingents, monofonctionnels, conjoncturels/dérivés, circonscrits |
|
DOMINANCE |
dissymétrie, hiérarchies, antagonisme, compétition – conflit |
|
Symétrie, utopies égalitaristes, harmonie, paix coopération |
subordination/domination, oppression -violence, exploiter – spolier, aliénation – violence symbol. |
SOCIALE (au sens générique) |
(p.m.) Autres Axes Syntagmatiques par ex. : dialectique des composantes matérielles et idéelles – factuelles et idéales de la socialité |
physico-chimique “naturelle” |
sociale stricto sensu, démo-économique, juridico-politique, culturelle-idéologique |
Commenter un tel tableau exigerait un minimum de traitement préalable “en extension” pour nous assurer que le système classificatoire ainsi construit “en intension” correspond à des réalités empiriquement repérables – ou du moins à des potentialités vraisemblables. Comme ce système est censé pouvoir rendre compte des situations sociales, économiques et idéologiques et des contextes nationaux et historiques les plus variés, les termes auxquels il recourt sont parfois des “plus petits dénominateurs communs” qui peuvent n’être appropriés à aucun contexte particulier. L’objectif d’un essai de ce genre, celui-ci ou un autre, est en effet de constituer une base de discussion susceptible de cristalliser, catalyser, des analyses jusque là formulées en ordre dispersé dans la littérature (féministe ou non), concernant aussi bien des résultats de recherche “de terrain” que des spéculations “en chambre” sur les rapports sociaux (en général, mais aussi de sexe, de classe ou de génération en particulier).
Un des principaux paris de cette théorisation est de subsumer les diverses modalités de rapports sociaux dissymétriques (postulés comme fondamentaux) sous le concept générique de dominance, dont elles seraient des déclinaisons paradigmatiques. Un autre pari est de ne pas opposer les rapports structurels de type (macro)sociétal – qui fondent par exemple la dynamique des antagonismes de “groupements statutaires” (hommes / femmes, patrons / salariés, etc…) – et les relations interindividuelles ou de groupes restreints qui actualisent cette dynamique, sans l’épuiser bien sûr, dans la vie quotidienne, en même temps d’ailleurs qu’elles l’inscrivent dans les expériences vécues. Enfin, le qualificatif de social, accolé à la dominance, est lui aussi un terme générique (en opposition avec “matière-nature”, par ex.) qui peut éventuellement se décomposer pour l’analyse en plusieurs domaines du réel (pourtant très enchevêtrés et théoriquement indécomposables).
Quant aux autres axes syntagmatiques, ils ne sont évoqués ici que pour mémoire. Outre la dialectique rapports<===>relations (1ère ligne du tableau) résumée ci-dessus, le tableau mentionne (dernière ligne) deux autres “dialectiques de composantes” qui constituent la trame même de tout rapport sociétal, à savoir : d’une part, le couple dialectique matériel / idéel (selon les termes de M. Godelier) ou “rapport de Sens-Signification” (selon ma terminologie), et d’autre part, le couple dialectique factuel / idéal ou “rapport de Sens-Orientation” (idem). Ces brèves allusions renvoient à mon article de 1984 cité en note n° 2 de bas de page, qui renvoyait lui-même à plusieurs articles ou manuscrits non publiés (cf. références de 1968, 1969 et 1975, en Annexe 3). A propos de ces “dimensions constitutives fondamentales de l’analyse des rapports entre les instances de la pratique sociale”, je me contenterai ici de signaler mon étonnement d’avoir trouvé dans la littérature consultée très peu d’intérêt pour les processus axiologiques de valorisation-évaluation du réel-factuel : ce que j’appelle ici l’ “idéal” ne saurait se réduire à de l’ “idéel”, à du symbolique. Je suis quant à moi persuadé qu’on peut réintroduire (dialectiquement, s’entend !) les valeurs et les idéaux dans toute problématique sociologique sans verser dans l’idéalisme.
Le tableau suivant est destiné à faciliter le passage de ce “schéma conceptuel général” (dixit Merton, cité page 1) à des “théories de moyenne portée”, censées être plus proches des réalités observables. Mais cette apparente proximité se paye d’un risque plus élevé de confusion sémantique. En effet, plus les concepts sont abstraits et construits en référence à des univers conceptuels d’une certaine généralité, voire ésotériques (pas toujours compréhensibles, dans le contexte de notre jeune et indisciplinée discipline sociologique), plus on peut conserver l’illusion de leur pertinence, puisque celle-ci n’est guère “falsifiable” (au sens poppérien). Au contraire, plus la problématique s’énonce dans des termes “concrets”, qui sont souvent les mêmes que ceux du “langage courant”, et plus on croit pouvoir la mettre facilement à l’ “épreuve de la réalité empirique” – malgré tous les guillements et autres distanciations destinés à mettre en garde contre des interprétations hâtives ou fallacieuses.
Ainsi en est-il de ce tableau, tant dans sa forme même de tableau – qui n’ autorise guère les développements, paraphrases et commentaires et qui accentue les séparations et qui suggère à tort des séparations un ordre de lecture et d’assemblage – que dans le contenu de ses cases. A ne considérer, par conséquent, que comme un stimulant pour attirer critiques et contre-propositions !
TABLEAU II
Rapports fondamentaux de dominance sociale :
essai de classification-analyse avant intégration-synthèse
“Critère” des rapports, désignations usuelles et/ou équivalentes |
Groupements Dominants / dominés (type principal de dominance) |
Ex. de Pratiques sociales (virtuelles ou actualisées ou en voie d’obsolescence) |
Symptômes et Effets sur Dominants / dominés (outre Discriminations) |
“sexe” genre |
hommes / femmes (dominer) |
production domestique, sexualité, procréation, machisme, sexisme |
autorité de “chef de ménage”/ services rendus-soumission, viols, violences conjugales |
“âge” génération |
adultes / enfants / vieux (discrimination juridique, économique, politique) |
renouvellement démographique, transmettre vie, nom, tous “patrimoines” (du fort au faible) |
autorités parentale et …. / obéissance, avancement à l’ancienneté, répartition inégale des emplois |
“classe sociale” statut socioéconom. |
capitalistes / salariés (exploiter) |
production de biens et services, accumulation du profit capitaliste |
spéculer, spolier/ subir l’exploit. salariale autorité patronale / subordination |
“race” ethnoculture |
“white / coloured” (exclure, marginaliser) |
volonté de puissance raciale, ethnique, religieuse apartheids, racisme |
inégalités structurelles, profiter de/subir, sur-exploitation, humilier/subir mépris |
“nationalité” ensembles géo-politiques |
Pays forts / faibles centre / périphéries (opprimer) |
volonté de puissance nationale, impérialiste – colonisations, guerres |
inégalités structurelles, profiter de/subir, sur-exploitation, vainqueurs/vaincus |
“pouvoir” (*) statut sociopolitique |
dirigeants / dirigés (contraindre) |
légiférer – arbitrer, maintenir l'”ordre”, élitisme |
abus de pouvoir, corruption, clientélisme |
(*) quelques années plus tard on aurait dit volontiers rapports de “gouvernance”
Procédant par analyse-décomposition (malgré tous mes principes épistémologiques), préalable nécessaire (?) à tout essai de synthèse par intégration conceptuelle, ce tableau ne peut néanmoins exprimer qu’une géométrie à deux dimensions : celles de la feuille de papier. Or les rapports fondamentaux de dominance sociale (disons les RFDS) sont conçus a priori comme si étroitement interdépendants que les termes usuels d’ articulation (trop mécanique), d’ imbrication (trop statique), d’ ancrage et d’ étayage (trop unilatéraux), d’ entrelacement (trop esthétique), et même d’ enchevêtrement (trop désordonné), ne conviennent guère : on leur préfèrera ceux d’ interférence, interaction ou interdépendance pour insister sur le fait qu’ils ne “fonctionnent” que les uns par les autres, en “réciprocité de perspectives” comme disait G. Gurvitch – en “transduction” comme disait G. Simondon. Quant à l’ordre de lecture, du haut vers le bas et de gauche à droite, il ne doit pas suggérer une hiérarchisation quelconque. J’ai seulement évité de placer les rapports de classe en tête, ou en surplomb, pour rappeler que je ne partage plus la tendance générale à constituer ces rapports-là en modèles prototypiques ou en structure de référence universelle.
Des guillemets encadrent les critères selon lesquels on désigne le plus souvent les fondements de ces rapports, même lorsqu’on connaît pertinemment leur inadéquation et/ou leurs effets pervers. On aurait pu forcer le vocabulaire et lui faire dire tous ces rapports en termes de classes – au sens le plus large de produits de classifications (cf. par ex. les pères fondateurs de la sociologie française et un essai de P. Naville sur classes sociales et classes logiques). Mais les réticences constatées à parler par ex. de classes d’âge incitent plutôt à la prudence lexicale.
Autre constatation : il semble acquis qu’on n’écrit plus rapports de classes et rapports de sexes, au pluriel (comme la plupart des auteures de 1984 et moi-même encore en 1991) – mais bien rapports de classe, de sexe, de génération ou d’âge, etc…, au singulier, ce qui indiquerait qu’on met maintenant l’accent sur le principe organisateur des RFDS plus que sur les groupements concrètement impliqués par eux – indépendamment des hésitations ou ambiguïtés d’usage de ces mots. Enfin, on remarquera la différence sensible qu’il y a, par exemple, entre les trois formulations suivantes (indépendamment des termes et de leur ordre d’énonciation, ici sans importance) :
– “rapports de classe, rapports de sexe, etc…” = simple énumération de rapports distincts.
– “rapports de sexe et rapports de race, etc…” = rapports “additifs”, avec effet cumulatif.
– “rapports de pouvoir et de sexe, etc…” = rapports “multiplicatifs”, interdépendants.
On ose à peine imaginer ce qu’il en est de ces rapports multiplicatifs lorsqu’on passe de la “complexité d’ordre 2” ci-dessus à la “complexité d’ordre 6” produite par les interdépendances 2 à 2, puis 3 à 3, etc… des six types de RFDS du tableau. J’ai eu l’occasion, plus haut, de commenter les travaux qui ont analysé, précisément, les rapports de sexe et de classe (ou de classe et de sexe) et de constater à ce propos qu’on ne s’aventurait guère au-delà – sinon pour nuancer ou plus rarement pour indiquer de possibles limites de validité d’une problématique limitée à la complexité “d’ordre 2”. Ainsi par exemple les recherches du GEDISST et d’ailleurs, sur la division sociale et sexuelle du travail, professionnel et domestique, ont bien montré en quoi “le travail a un sexe” et par quels processus les rapports de domination hommes/femmes contribuent à l’efficacité des rapports d’exploitation salariale. De même, d’autres recherches comme celles de J. Ch. Lagrée sur les rapports de classe et de génération ont pu montrer que le renouvellement des générations ne fait pas que reproduire les rapports d’exploitation à l’identique : il offre sur le marché du travail une main-d’oeuvre malléable et sous-payée, avec les perspectives de l’avancement automatique à l’ancienneté comme stimulant idéologique (ce qui produit des inégalités de rémunération au moins aussi fortes et aussi peu “justifiées” que celles entre les sexes, et cumulables avec elles par surcroît) et il contribue largement à l’évolution des formes d’exploitation capitaliste en imposant la précarité et le chômage massif des jeunes.
C’est à des problématiques complémentaires, voire encore un peu plus complexes, que des auteur(e)s se sont consacré(e)s récemment, par ex. sur les rapports de sexe et de génération et de classe [19], ou sur les rapports au politique et de sexe et de classe [20] . Et à chaque fois on peut constater la fécondité de telles mises en relation conceptuelles originales.
S’agissant des rapports de génération, connotés par leurs usages plus fréquents en psycho-pédagogie (familiale et scolaire notamment), je propose de les redéfinir de telle manière qu’ils puissent se combiner avec profit avec les autres RFDS, notamment de sexe. Ceci aurait l’avantage de désambiguïser les rapports de sexe, qui actuellement amalgament confusément ce qui ressortit effectivement aux rapports hommes/femmes, de la domination masculine à proprement parler, d’une part, et ce qui ressortit en fait plutôt aux rapports d’ “engendrement” (transmission de la vie, appropriation et “élevage” des enfants), d’autre part – qu’on analyserait alors comme un des rapports de génération parmi d’autres, impliquant les parents (géniteurs ou non) et les enfants [21]. Les rapports de génération ainsi conçus “moduleraient” les autres types de RFDS avec lesquels ils interfèrent nécessairement : on distinguerait mieux ainsi ce qui dans la condition des femmes – et des hommes – est imputable surtout à leur statut socio-sexué (quel que soit leur “statut matrimonial”) et ce qui est imputable à ce même statut, modulé par d’éventuelles responsabilités parentales, ou filiales (assumées différemment selon le sexe, comme on sait).
Dans le cadre thématique de la sociologie de la famille, où effectivement les fonctions et rôles sexuels et conjugaux étaient étroitement associés aux fonctions et rôles procréatifs et éducatifs, l’ amalgame ici dénoncé n’en était pas un. Mais une sociologie des RFDS ne doit pas calquer ses découpages sur ceux des institutions “fonctionnelles” – qui, au demeurant, ne leur correspondent pas terme à terme. Il est bien admis généralement que l’analyse des rapports sociaux de sexe n’est pas plus confinée dans la sociologie de la famille (avec même des raisons supplémentaires d’échapper à ce confinement), lieu principal de l’exploitation domestique, que l’analyse des rapports de classe dans la sociologie du travail, lieu principal de l’exploitation salariale.
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Annexes bibliographiques
1 – Principaux documents collectifs consultés
* Le sexe du travail. Structures familiales et système productif. Ouvrage collectif édité aux Presses Universitaires de Grenoble, 1984. Première partie : Temps social et rapports de sexes. Deuxième partie : Division sociale du travail, pratiques de classes et de sexes.
On retiendra surtout de la deuxième partie, pour notre propos, les contributions de D. Combes et M. Haicault, H. Le Doaré, H. Hirata, D. Chabaud et D. Fougeyrollas-Schwebel, et de D. Kergoat, dont le titre “Plaidoyer pour une sociologie des rapports sociaux. De l’analyse des catégories dominantes à la mise en place d’une nouvelle conceptualisation” fait plus qu’évoquer celui du présent article.
* Collection des Cahiers de l’APRE, dont on retiendra surtout les livraisons suivantes :
– n° 3 : Production/Reproduction et Rapports sociaux de sexe, septembre 1985
– n° 5 : Rapports intra-familiaux et Rapports sociaux de sexe, mai 1986
– n° 6 : Division sexuelle du travail, Famille et Rapport salarial, septembre 1986
– n° 7 : Actes de la Table ronde internationale de l’APRE des 24-25 et 26 novembre 1987 : Les rapports sociaux de sexes : problématiques, méthodologies, champs d’analyses, avril-mai 1988.
Vol. 1 et 2 : Communications; vol. 3 : Synthèses et débats.
* Recherches féministes et recherches sur les femmes. Réponses aux deux appels d’offres de l’A.T.P. du CNRS n° 6, 1983 et 1985, structurés en 3 axes.
Les contributions du premier axe : Analyse critique de la conceptualisation des sexes (1984-87) et Concepts et problématiques (1986-89) expriment plus explicitement des préoccupations théoriques. Mais plusieurs contributions des autres axes, aux thèmes apparemment plus empiriques, n’en présentent pas moins un intérêt équivalent pour notre propos.
* Séminaire du Centre de Sociologie Urbaine, animé par M. Freyssenet et S. Magri : Les rapports sociaux et leurs enjeux. Vol. 1, 1989 ; vol. 2, 1990.
* Collection des Cahiers du Gedisst, dont on retiendra particulièrement le n° 3, 1992, Rapports sociaux de sexe : une journée de discussion (14 juin 1990) et le n° 11, 1994, Division du travail, rapports sociaux de sexe et de pouvoir.
2 – Concernant la sexuation de la sociologie – et de la langue française
* Anne-Marie Devreux, Sociologie “généraliste” et sociologie féministe : les rapports sociaux de sexe dans le champ professionnel de la sociologie, Nouvelles Questions Féministes, 1995, vol.16, n°1
* Hélène Le Doaré, Note sur une notion : le rapport social de sexe, Cahiers du Gedisst, n°3, 1992.
Ces deux textes nous invitent à relire, entre autres, les textes fondateurs suivants de Nicole-Claude Mathieu (récemment réédités dans “L’anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe”. Paris, Editions Côté-Femmes, 1991) :
– Notes pour une définition sociologique des catégories de sexe, Epistémologie sociologique, n°11, 1971, pp.19-39
– Homme-culture et femme-nature ?, L’Homme, XII, 3, 1973, pp. 101-113.
* Claire Michard, Sexisme et sciences humaines. Pratique linguistique du rapport de sexage. Presses Universitaires de Lille, 1982.
* Le genre en français contemporain. Matérialisations dialectiques de la catégorie socio-conceptuelle de sexe (en collabor. avec Catherine Viollet). Rapport scientifique pour l’A.T.P. du CNRS n° 6 (cf. Annexe 1).
3 – Concernant les conceptions et propositions épistémologiques de l’auteur
– Proposition pour l’élaboration d’une conception épistémologique cohérente et pour son application à la recherche en sciences sociales, Epistémologie Sociologique, n° 6, Paris, 2ème semestre 1968, pp. 65-78.
– Les jeunesses et le phénomène politique dans le Québec contemporain : proposition d’un cadre conceptuel d’analyse et inventaire des recherches empiriques. Manuscrit de 31 p. et bibliographie annexe, non publié, Université de Montréal, 1969.
– Propositions pour l’élaboration de cadres de référence conceptuels concernant les “dimensions constitutives fondamentales” de l’analyse des rapports (dialectiques et dynamiques) entre les instances de la pratique sociale (personnes, groupes, classes et “sociétés globales”). Document interne du Centre d’Ethnologie Sociale et de Psychosociologie, Montrouge, 1975.
– Vraiment ? Pratiques socio-cognitives concernant la “réalité sociale”, in Le Sujet et l’implication, Ouvrage collectif sous la direction de Jacqueline Feldman et Françoise Laborie, Ed. du C.N.R.S., Paris, 1986, p. 245-265.
– Le traitement de la complexité (répartitions numériques et corpus textuels). Document interne du Centre de Recherches Interdisciplinaires sur les Transformations sociales, Paris, 1988.
– Types homogènes calculés et/ou classes significatives construites. Réflexions épistémologiques sur les modes de traitement de la complexité, in Enquêtes statistiques et indicateurs des pratiques familiales, IRESCO, mars 1989, pp. 67-75.
[1] dès le premier nom de personnage se pose le problème du genre : faut-il dire un(e) chercheur(e) ou une personne qui cherche, ou quoi de neutre qui ne connote pas la confiscation de l’universel par le dominant masculin ? Etant moi-même du genre masculin (statut biosocial que j’assume sans honte ni vanité), je risque sans doute d’être moins vigilant que mes consoeurs à l’égard de ce piège linguistique grossier – si bien dénoncé pourtant, par ex. par Claire Michard et Catherine Viollet dans leurs travaux sur le genre en français contemporain. Cf. les références citées en Annexe 2.
[2] intitulée : Rapports de générations … en rapport avec … Rapports de sexes, Rapports de classes sociales et autres Rapports sociaux fondamentaux : ébauche de construction théorique d’un objet complexe.
Ce texte fut d’abord publié en mai 1984 dans le Cahier n° 2 du Réseau Jeunesses et Société, avant d’être publié dans le n° 30-31 de la revue Annales de Vaucresson, en 1991 (n° spécial “Générations”, pp.25-45).
[3] On trouvera en Annexe 1 une liste, non exhaustive, de ces travaux publiés, au cours de la décennie 1980-1990
[4] Féminisme, modernité, postmodernisme : pour un dialogue des deux côtés de l’Océan. Eleni Varikas, Futur antérieur, Supplément spécial Féminisme au présent. L’Harmattan, 1993.
[5] voir en Annexe 3 quelques références concernant mes conceptions et propositions dans les registres interdépendants de l’épistémologie, de la théorie et de la méthodologie.
[6] cf., notamment, parmi les travaux d’Evelyn Fox Keller, physicienne, biologiste et épistémologue féministe : Genre et science, genres de science, Mensuel Marxisme Mouvement, n° 75, février 1995, pp. 11-17.
[7] cf. par ex. les commentaires qu’en fait Naomi Schor dans son article : “Cet essentialisme qui n’en est pas un : Irigaray à bras le corps”, Futur antérieur, Supplément spécial Féminisme au présent. L’Harmattan, 1993.
[8] voir en Annexe 2 quelques références concernant la sexuation de la sociologie.
[9] cf. par ex. Catherine Jami, Au-delà du miroir : écrire l’histoire des sciences d’outre-occident, Mensuel Marxisme Mouvement, n° 75, février 1995, pp.18-24.
[10] j’emploie à dessein l’expression soi-disant, les guillemets, et l’anglais, pour rappeler que nous, les “blancs” sommes aussi “colorés” (et , d’ailleurs, pas si blancs que cela !) et parce que le couple white/coloured me semble exprimer plus crûment que nos expressions françaises équivalentes l’aspect tout à fais décalé, impertinent, de cette distinction – si bien analysée par Colette Guillaumin.
[11] Les analyses et propositions de chercheuses féministes comme Françoise Collin me confortent dans l’idée qu’un tel projet n’est pas trop utopique. Cf. par exemple son article intitulé : Ces études qui ne sont “pas tout”. Fécondité et limites des études féministes, Cahiers du GRIF, n° sur “Savoir et différence des sexes”, pp. 81-94.
[12] mes principales références, masculines il est vrai, concernant la transdisciplinarité en sciences sociales, à ne pas confondre avec les diverses formes de pluri- ou multi-disciplinarité, ont pour noms Gilbert Simondon et Edgar Morin.
[13] Je perçois bien ce que la métaphore de la construction, avec ou sans plan préétabli, peut avoir d’épistémologiquement incorrect, d’autant plus qu’elle peut être associée à certains stéréotypes concernant la sexuation des formes de pensée. Mais, à tout prendre, et avec précaution, cette métaphore semble préférable à celle de la théorie-reflet, associée aux dérives du positivisme, voire de l’essentialisme. On a bien là une illustration de ce qu’on appelle parfois le “malaise sémantique”, provoqué par l’inadéquation foncière de certaines conceptualisations et terminologies usuelles : cf. par exemple D. Kergoat, dans sa contribution à l’ouvrage collectif de 1984, cité en Annexe 1, “Le sexe du travail”, page 217.
[14] L’idéel et le matériel. Paris, Fayard, 1984.
[15] sur les modalités de combinaison de ces deux Modes de Production, et leur évolution dans les textes de C. Delphy et D. Léonard, on lira le manuscrit récent (non encore publié) de Josette Trat : Les femmes au coeur des changements sociaux et de la crise, septembre 1995.
[16] A titre d’échantillons récents de ces travaux, citons les articles publiés dans Politis la revue, de :
– H. Hirata et D. Kergoat : La classe ouvrière a deux sexes, n°4, juillet-septembre 1993, pp.55-58.
– Dominique Fougeyrollas-Schweibel : Si la famille m’était comptée, n°8, novembre 1994-janvier 1995, pp. 37-41.
[17] cf. par ex. le débat ouvert sur ce thème au cours de la Table ronde internationale de l’APRE, citée en Annexe 1, à partir des travaux de Paola Tabet (Cahier de l’APRE n° 7, vol. 3, pages 157-198).
[18] cf. par ex. le rejet de ces rapports par D. Combes, dans le Cahier de l’APRE n° 3 cité en référence ci-dessus, p. 105, au motif qu’on ne pourrait leur imputer qu’une “portée explicative du fractionnement social global limitée et dérivée d’un rapport social plus fondamental” (question de l’auteur : mais lequel ?).
[19] cf. par ex. H. Le Bras : Les jeunes dans le monde. Première partie : une problématique d’ensemble. Les documents de travail du Sénat, Série Etudes, n° E1, janvier 1995, pp. 3-39.
[20] cf. par ex. H. Le Doaré : Genre et mouvement populaire en Amérique latine, une lecture “occidentale”. Article à paraître – le n° 11 des Cahiers du GEDISST (cité en Annexe 1), dont les articles ne se placent pas tous au niveau de complexité du titre : Division du travail, rapports sociaux de sexe et de pouvoir.
[21] lire à ce propos l’article décapant de Christine Delphy, dans le Cahier du Gedisst n° 11 : Minorité légale ou incapacité réelle ? Le statut des enfants