Analyses sociologiques des discours (2007)

Analyses sociologiques des discours :

préalables théoriques et méthodologiques

Jacques Jenny [1]

Ce texte fut d’abord rédigé en 2007 – à la suite d’une communication orale présentée lors des Journées Internationales organisées à la M.S.H. Alpes (Grenoble) les 3 et 4 novembre 2005 par le Groupe CAPAS (CAPitalisation et Analyse Secondaire) sous le thème “l’Analyse Secondaire en Recherche Qualitative, Utopies ou Perspectives Nouvelles ?”.

(je remercie au passage Magdalini Dagentas et Mathieu Brugidou pour leur relecture amicale)

Il était alors destiné à une publication collective – mais en 2012 cette publication est toujours annoncée comme “à paraître”, notamment dans une bibliographie du Numéro spécial de la revue “Langage et Société” consacré aux “Méthodes d’analyse des discours” (n° 135 – mars 2011 – page 8 : Brugidou M., Dargentas M., Le Roux D., Salomon A.C., (dirs.), Analyses secondaire en recherche qualitative : enjeux pour les sciences humaines et sociales, Paris, Éditions Lavoisier).

(pour la version ci-dessous, le texte originel a été légèrement remanié et actualisé en 2010)

1. Introduction

Afin de préciser la portée et les enjeux de la présente contribution, notamment par rapport à ce que recouvre le syntagme usuel d’analyse de discours (parfois érigée en discipline académique), je vais tenter d’expliquer le choix des termes du titre :

– Analyses sociologiques [des discours] veut d’abord indiquer que ma discipline principale est la sociologie qui, dans ma formation et ma pratique interdisciplinaires, inclut la psychosociologie : cette référence disciplinaire doit qualifier toute analyse qui ne se veut pas simple commentaire littéraire ou libre, et m’impose d’expliciter mon ou mes cadres d’analyse théorique forgés et fondés en (psycho)sociologie. Le pluriel indique que ma conception de cette discipline exige la diversité des théories et des méthodes pratiquées – en raison de la complexité même de ses objets de recherche et de la multiplicité des points de vue légitimes – quand bien même je me limiterai ici à ne formuler que mes appréciations et mes propositions personnelles.

– Quant à l’expression [analyses sociologiques] des discours, elle désigne avec précision les objets pluriels sur lesquels portent ces analyses, ce que ne font pas les expressions usuelles analyse qualitative (de quoi ?) ou recherche qualitative (sur quoi ?) (voir à ce sujet : Jenny, 2000, 2004). On remarquera au passage que je n’emploie pas non plus cette autre expression consacrée analyse de discours, syntagme figé qui a cours chez les sociolinguistes mais qui peut poser des problèmes aux sociologues.

Les données dites qualitatives – au sens classique restreint – sont en fait en grande majorité des données textuelles, sous les formes et formats de textes les plus divers – format le plus souvent langagier (voire plus précisément oral à l’origine, avant d’être transcrit) – produits en réponse à des demandes d’entretiens ou à des questions ouvertes de questionnaires, lesquels échanges discursifs ne sont en fait que des cas particuliers de conversations ordinaires, ou conversations sous contrainte de format.

C’est sous l’influence des sociolinguistes que je fréquente depuis longtemps [2] et par respect pour la spécificité de ces matériaux textuels que, pour ma part, je remplace l’expression [données ou recherches] qualitatives par le vocable générique de discours, ou matériaux discursifs, compris au sens large – sociologique comme il se doit – de pratiques discursives. Et l’un des principaux effets de ces contacts interdisciplinaires et de ce choix lexical, c’est de sensibiliser à des notions-clés, à des problématiques, peu connues de la sociologie classique (sinon parfois au contact de l’ethnométhodologie et des analyses conversationnelles), comme la fonction de l’indexicalité [3] ou de la contextualité dans la compréhension du sens des énoncés discursifs.

Evidemment, font aussi partie de ces matériaux de recherche les textes produits par les chercheurs eux-mêmes, depuis leurs projets de recherche, leurs notes d’observation directe et autres carnets de bord de terrain jusqu’à leurs rapports de recherche et publications finales [4].

Dans la première partie de la présente contribution, je m’intéresserai précisément à ces problèmes de contextualisation, en partant du cas des analyses rétrospectives où ils s’imposent de manière évidente – et ce d’autant plus que les matériaux à analyser sont anciens, refroidis par le temps (c’est-à-dire sortis de leurs contextes, décontextualisés) – pour étendre la réflexion à tout type d’analyse sociologique de données contemporaines (y compris données statistiques et autres répartitions numériques et spatio-temporelles).

En effet, que ces problèmes soient souvent méconnus ou sous-estimés en analyse « primaire » (en tant qu’implicites allant de soi), n’empêche pas qu’ils méritent là aussi un examen spécifique approfondi : un minimum de connaissances contextuelles est en effet nécessaire pour l’analyse et l’interprétation de tout matériau, discursif ou non, archivé ou fraîchement recueilli.

Dans la seconde partie, je formulerai des propositions théoriques et méthodologiques générales, sous forme de deux paradigmes fondamentaux articulés qui constituent selon moi d’autres préalables concernant plus spécifiquement toute analyse sociologique d’énoncés discursifs :

1 – paradigme du dispositif circulatoire des instances de pratiques discursives,

2 – paradigme d’interdépendance dialectique, oscillatoire, des quatre principaux registres de sens des énoncés.

 

2. Problèmes de contextes et de contextualisation

Lorsqu’on prévoit la possibilité d’exploitations futures de documents actuels, il est banal de prescrire de joindre à ces documents les éléments significatifs de leurs contextes (pris ici au sens vague consacré par l’usage) et modalités explicites de production, en tant que modes d’emploi documentaires en quelque sorte, éléments adjacents indispensables pour leurs (re)lectures pertinentes. Par exemple, s’agissant d’entretiens, retranscrits ou non, que saura-t-on dans dix ou vingt ans des coordonnées biographiques personnelles de chaque locuteur-informateur, des caractéristiques de chaque organisme – source d’informations, surtout celles que les chercheurs sont seuls à connaître et/ou qui sont couvertes par les règles de l’anonymat et de la confidentialité ? De même, que saura-t-on des enquêteurs et des chercheurs, et de tout le dispositif de questionnement, sachant que leur rapport aux enquêtés est à considérer non pas tant comme source potentielle de biais subjectif, de « bruit », par rapport à du réel [qui serait] objectif que comme constitutif du processus dialogique de description-construction du réel ? Lequel processus verbal interactif associe ce qu’on appellera ici plus précisément le cotexte (par exemple, les interventions et relances des enquêteurs, des informateurs) et le texte (texte des réponses produites par les enquêtés).

Un petit détour par les sciences du langage, notamment par les courants de cette discipline les plus proches de la sociologie [5], nous aidera à clarifier ces concepts et à mieux comprendre les enjeux théoriques et pratiques de ces problèmes de cotexte et de contexte.

Je pense notamment au courant Culiolien de l’énonciation [6] et à ce courant de la pragmatique qui s’intéresse aux rapports entre le texte (le corpus soumis à l’analyse), le cotexte (éléments textuels accompagnant directement le corpus lui-même), l’intertexte (éléments textuels auxquels le corpus se réfère, explicitement ou non, dans d’autres corpus) et le/les contexte/s (éléments non nécessairement textuels qui contribuent aux configurations sociales et sociétales dont font partie les corpus) [7].

Mais s’agit-il vraiment d’un détour, ou ne s’agit-il pas plutôt d’une autre face, d’une autre expression, d’un autre point de vue sur, des problèmes classiques en micro- et macro-sociologie et en psychosociologie ? En l’occurrence ce que j’appellerai plus loin (premier paradigme) le dispositif des instances de pratiques discursives, dont l’enchevêtrement, les articulations et interactions, tricotent le tissu des relations sociales et des rapports sociaux [8], et dessinent la cartographie dynamique de l’interdiscours, ces circulations discursives en tous sens (notamment entre les niveaux micro et macro) qu’on peut observer dans toute formation sociale ?

La recherche en sciences sociales, loin d’être isolée dans une tour d’ivoire, participe à cette interdiscursivité dynamique au même titre que d’autres dispositifs. Car elle ne consiste pas à dévoiler par elle-même, dans des laboratoires hermétiques, des vérités brutes qui seraient déjà là, mais plutôt à construire ensemble avec d’autres instances et acteurs sociaux, à co-produire, par le discours (couples Organismes enquêteurs – Personnes enquêtées, stratégies de questionnement discursif) et par le langage (couples Questions – Réponses, tactiques d’énonciations verbales), toutes les variétés d’énoncés possibles – selon ce que j’appellerai plus loin (second paradigme) les principaux « registres de sens » des discours : de l’information factuelle, de l’interprétation, des arguments, des perceptions, des sentiments, des jugements, des croyances, des revendications, des besoins et aspirations, des opinions et attitudes, etc.

On peut espérer que cette conception méthodologique de la dialogique du textuel-cotextuel est maintenant partagée par la majorité des chercheurs – en dépit de l’inertie des conceptions naïves ou objectivistes classiques, qui se réfèrent à du réel objectif non construit, (re)cueilli ou « donné ».

Mais on sous-estime peut-être encore l’impact des autres éléments de la situation d’enquête dits contextuels, lorsqu’ils sont implicites comme le sont parfois les environnements idéologiques et cognitifs ambiants, d’ordre sociétal, qui se transforment à un rythme plus ou moins rapide au point de pouvoir faire disparaître en moins d’une génération jusqu’au souvenir d’anciens paradigmes, problématiques et concepts et/ou en faire émerger ou poindre de nouveaux. A ce propos on pourrait évoquer la rapide évolution récente de certains thèmes de débat public, avec en corollaire des cycles de vie (éclosion, maturité, sénescence ou ringardise, et mort) pour certaines expressions ou formules lexicales, par exemple dans les domaines sensibles de la maîtrise de l’énergie, de l’environnement écologique et climatique – et depuis peu du développement durable et solidaire, de la croissance – décroissance.

S’agissant des recherches menées sur du contemporain hic et nunc, on peut observer que la nécessité de cette contextualisation (intégration explicite des contextes dans les problématiques) ne s’impose pas avec autant d’évidence que pour des recherches rétrospectives. En effet non seulement nous, analystes, connaissons ou croyons connaître (sur le mode implicite des sous-entendus) ces éléments contextuels par notre immersion personnelle, mais encore et surtout nous pouvons présumer que nos lecteurs partagent cette connaissance implicite, cette culture générale du temps présent – ce qui bien entendu ne peut pas se vérifier pour toutes les catégories sociales de lecteurs (même parmi les « élites cultivées ») – et par conséquent on pense à tort pouvoir se dispenser de cette nécessaire explicitation des contextes implicites, fût-ce par simple évocation, dans la production et l’exposé des résultats de la recherche.

Un minimum de formation de type ethnologique peut d’ailleurs nous convaincre de cette nécessité, pour des recherches réalisées en d’autres contextes économiques, sociaux et culturels, religieux, politiques, là où l’on sait que la connaissance de ces contextes n’est partagée que par les spécialistes initiés.

Et le dépaysement provoqué par les retours sur le passé, même dans notre propre histoire sociale et culturelle récente, produit les mêmes effets épistémologiques. En effet, s’agissant de recherches rétrospectives, cette explicitation apparaît d’emblée nécessaire, comme il m’est arrivé (en 2005-2006) d’en faire personnellement l’expérience au cours de plusieurs séances de réflexion méthodologique sur une enquête par questionnaires datant de 1964 (Jenny, 1965), avec des étudiants qui n’étaient pas nés à cette époque et dont certains ne sont pas nés en France. Ces séances s’inscrivaient dans un séminaire de recherche socio-historique du département des sciences de l’éducation à l’Université de Paris 8, séminaire animé par l’historien Mathias Gardet et le sociologue Antoine Savoye. Et les questionnaires, qui sont depuis peu archivés dans ce département de Paris 8, sont ceux d’une grande enquête (inachevée et non publiée) dont j’avais eu la responsabilité scientifique de 1963 à 1966, auprès d’un échantillon comparatif stratifié de 360 jeunes de 13 à 25 ans (dans cinq unités résidentielles contrastées), sur « le processus de maturation sociale de l’adolescence à l’âge dit adulte, en milieu urbain français contemporain ».

Au cours de ce séminaire, nous avons pris conscience que, au-delà du cotexte (dispositif de questionnement) sur lequel nous avons conservé beaucoup d’informations en archives, le contexte de cette époque déjà si différente de l’actuelle n’est plus présent que par nos souvenirs personnels (qui eux-mêmes s’estompent et se dégradent au fil des ans et sont appelés à disparaître) ou par quelques documents administratifs (brochures d’information locale ou coupures de presse très lacunaires), et ne pourrait être reconstitué que par des recherches historiques spécifiques. Faute de quoi le texte, en l’occurrence ici les réponses à mes questions ouvertes mais aussi les réponses à mes questions précodées – c’est-à-dire en fait aussi le texte de mes propres questions – est parfois énigmatique.

Parmi les enseignements généraux qu’on peut tirer de cette expérience de réflexion méthodologique sur une enquête datant de quarante ans, le décalage à la fois historique (1964 – 2006) et culturel (français urbains en 1964 – étudiants francophones d’autres origines en 2006) a permis non seulement de mieux connaître une partie de l’évolution historique de notre société française urbaine sur le moyen terme, ce qui était l’objectif premier de l’opération, mais aussi de révéler les vertus pédagogiques de ce décentrement rétrospectif, qui fait prendre conscience de la nécessité de recontextualiser les documents textuels anciens, par intégration du texte et des contextes dans des problématiques englobantes.

Mon paradigme des instances de pratiques discursives (qui sera exposé plus loin) s’inscrit dans une conception équilibrée et dynamique de la société globale comme fait collectif spécifique et complexe, en interaction dialectique [9] avec les personnes et les groupes, groupements, mouvements et réseaux sociaux qui la composent : ce paradigme rappellera qu’il existe de multiples sources et canaux de production discursive, notamment aux niveaux micro-social et macro-social (ou sociétal), avec leurs logiques, leurs dynamiques et leurs ressources – contraintes spécifiques, et surtout que les discours produits peuvent circuler dans tous les sens de chaque instance émettrice vers toutes les autres [10].

Peut-on dès lors suggérer la mise en œuvre de banques de données contextuelles destinées à nourrir les interprétations des énoncés discursifs archivés, à les re-contextualiser ? L’idéal serait de pouvoir réinscrire ces contextes, au moins en filigrane, auprès des textes archivés, de manière à pouvoir interroger à la demande, sur le mode interactif, le plus possible d’éléments informatifs sur la totalité matérielle et idéelle du passé, en y incluant évidemment textes, discours et images, voire sons et paroles. Les moteurs de recherche documentaire actuels ou en projet tels que Google ou Quaero peuvent préfigurer ce que pourraient être ces banques de données contextuelles ; mais, sachant que les projets de création de systèmes de « knowledge retrieval », au-delà des moteurs de recherche de l’« information retrieval » classique, ne semblent pas encore avoir abouti de manière convaincante, on peut s’interroger sur la faisabilité et/ou sur la réelle plus-value heuristique de telles banques de données, au-delà d’une certaine échelle qui serait vite atteinte.

 

3. Deux paradigmes articulés : instances de pratiques discursives et principaux registres de sens

Dans la deuxième partie, j’ai été amené à évoquer le tissu des rapports sociaux dans lequel prenaient place les discours, en l’occurrence ces paroles prononcées en réponse à des sollicitations co-textuelles (plus explicites qu’implicites) et en référence (plus implicite qu’explicite) à tout l’environnement contextuel d’autres paroles, textes, images ou discours, qui circulent et interagissent les uns sur les autres au sein de ce que j’appelle la configuration multidimensionnelle des lieux de parole et d’écoute, ou dispositif circulatoire des instances de pratiques discursives.

Le premier paradigme propose une cartographie de ce dispositif, qu’on illustrera ici par les types de discours produits par, échangés et circulant entre, les différents types d’instances qui composent nos sociétés démocratiques contemporaines dans leur globalité et leur diversité complexe : aussi bien réseaux et mouvements sociaux aux contours flous que classes et communautés, organisations et collectivités, groupes et groupements complexes stricto sensu. S’agissant plus précisément d’enquêtes par questionnaires ou par entretiens, on peut considérer ces échanges verbaux comme une forme particulière de conversations sous contrainte de format – et la cartographie attirera notre attention sur les autres types d’instances et de discours avec lesquels ces échanges verbaux entretiennent des rapports plus ou moins étroits ou permanents – y compris bien sûr à l’insu des protagonistes.

Le deuxième paradigme s’inspire d’observations récurrentes en sciences du langage et autres sciences sociales, concernant l’hétérogénéité fondamentale de toute pratique discursive. Il postule l’existence d’un nombre restreint de dimensions constitutives fondamentales, grâce auxquelles on peut inscrire tout énoncé dans une dynamique de relations d’interdépendance dialectique entre quatre pôles de signification, un peu comme la lumière blanche se décompose en rayons colorés en passant à travers un prisme transparent. Ce paradigme proposera en guise de grille de pré-lecture (ou pré-analyse) un socle commun de questions-filtres destinées à expliciter ces dimensions constitutives fondamentales des énoncés, là où elles ne sont qu’implicites, ce que je propose maintenant d’appeler les principaux registres de sens des discours.

Ces deux paradigmes ne constituent que des préalables (psycho)sociologiques en amont de toute méthode d’analyse du contenu ou du sens, stricto sensu, des discours échangés et circulant. En outre, ils ne peuvent se concevoir selon moi qu’en interaction étroite avec au moins deux autres paradigmes tout aussi constitutifs et fondamentaux, que je considère comme des toiles de fond incontournables pour toute problématique sociologique quelle qu’elle soit, à savoir :

les rapports fondamentaux de dominance sociale [11] et la dynamique temporelle [12].

 

3.1 Premier paradigme : dispositif circulatoire des instances de pratiques discursives

Les discours (au sens large) sont des pratiques sociales parmi d’autres, produites au sein d’un dispositif structuré d’instances de pratiques socio-discursives ou lieux d’où ça parle et ça écoute (ça échange et ça communique, ça polémique, lieux de débat, de « dispute »), où ça agit et ça subit (ça interagit et ça se confronte, lieux de conflit, de combat). C’est de la responsabilité spécifique des sociologues et psychosociologues, réputés experts en lien social et en rapports sociaux, de proposer une typologie pertinente de ces instances.

La classification synthétique que je propose s’inspire d’anciens travaux épars de psychologie sociale, notamment nord-américains, sur les groupes d’appartenance et de référence : je l’ai conçue au milieu des années 60 pour analyser empiriquement ce que j’appelais alors le processus de maturation sociale de l’adolescence à l’âge dit adulte (Jenny, 1965). C’est une typologie multidimensionnelle produite selon les règles méthodologiques classiques [13] de la classification à facettes de Guttman, et de la substruction des espaces d’attributs de Barton, combinant les trois critères fondamentaux suivants :

a)      la taille (ou échelle), du micro-social (relations sociales interpersonnelles en face-à-face, ou sociabilité, conversations) au macro-social (rapports sociaux collectifs, impersonnels, ou socialité, mass medias) en passant par du méso-social intermédiaire, mixte (presse locale, bulletins de liaison, communication interne au sein des organisations, etc).

b)      la modalité de fonctionnement, spontanée (leadership informel sans headship) ou organisée (leadership + headship formel, sous contrôle institutionnel).

c)      le fondement du regroupement, de fait (position statutaire) ou volontaire (adhésion affinitaire).

On trouvera en Annexe I le tableau tridimensionnel de ces instances de pratiques sociales, dont la figure 1 et le tableau 1 ci-dessous sont des « applications » aux pratiques de type socio-discursif.

 

Figure 1. Illustration fantaisiste de la notion fondamentale d’interdiscursivité, – à partir d’un événement réel, la parution d’un ouvrage de science politique en contexte de campagne pré-électorale : « La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance » (Rosanvallon, 2006).

Comment circulent informations, discours, débats, concernant les problèmes sociaux, de leur production scientifique à leurs expressions publiques et privées et vice-versa.

 

 

Tableau 1 : Essai de cartographie des différents types de discours produits, échangés, circulant dans notre société française contemporaine, à partir de quelques exemples concrets de corpus, associés aux diverses instances correspondantes de pratiques socio-discursives *.

1 – Modes de

(selon la ‘taille’

Communication

des groupes sociaux)

2

Codes de Communication

(+ ou – ritualisés)

3

Fonction dominante des énoncés

dialogues et enquêtes, conversations, discussions (niveau micro)

Groupes restreints

‘face to face’

messages et débats locaux

(niveau méso)


Groupes ‘intermédiaires’

discours et débats sociétaux

(niveau macro)


Groupes larges ou société ‘at large’, ‘ensembles complexes’

Groupes organisés,

avec encadrement institutionnel et hiérarchie formelle superposée au leadership :


Codes explicites, incluant rites cérémoniels


Information

(Groupes de fait ou statutaires, POSITION)

échanges fonctionnels au sein des petites unités domestiques, professionnelles, résidentielles ; disputes familiales et autres, transactions commerciales, enquêtes de renseignement, … bulletins de liaison de clubs et associations ; petites annonces, notes de service et circulaires administratives locales et professionnelles, … discours officiels, rapports d’enquêtes, presse écrite et radio-TV d’investigation et d’information, analyses en sciences sociales, publication des sondages,…
Opinion

(Groupes  affinitaires, ADHESION)

discussions organisées, assemblées générales de clubs, sections locales de syndicats et partis politiques, enquêtes d’opinion, … bulletins et tracts locaux de propagande syndicale et politique, confrontations, procès et débats locaux, revendications et négociations locales, … rapports et motions de Congrès de Syndicats, Partis, Eglises, Loges, mouvements sociaux organisés, lobbys, presse écrite et radio-TV d’opinion, régionale et nationale,





Groupes spontanés, informels, avec leadership, mais

sans autorité institutionnelle :


Codes implicites

Information

(Groupes de fait ou statutaires, POSITION)

conversations fortuites, plus ou moins banales, échanges d’informations sur l’actualité, en bandes de jeunes, entre copains, brèves de comptoir, … communications écrites ou téléphonées, courriels et SMS /

à parenté ou réseaux d’amitié, amicales d’anciens, ….

littérature et films mettant en scène les rapports de classe, génération, sexe, communautés linguistiques et culturelles, …
Opinion

(Groupes affinitaires, ADHESION)

discussions informelles engagées, argumentées, prosélytisme, … doléances et pétitions locales spontanées, courrier des électeurs, … revues libres, indépendantes, forums et blogs nationaux sur Internet, courrier des lecteurs, pétitions nationales, …

Type de rapports / relations sociales —>

Interpersonnelles *

(relations de sociabilité)

mixtes *

Impersonnelles *

(rapports de socialité)

* à ces 3 grands types de rapports/ relations sociales « classiques » (ligne sous le tableau) s’ajoutent depuis peu des dispositifs de réseaux sociaux dits « virtuels » (N.T.I.C.) inclassables ( ?), parfois qualifiés d’interpersonnels de masse (Atifi, Gauducheau, Marcoccia, 2006) ou de transpersonnels (ma suggestion personnelle), tels que forums de discussion, sites personnels et blogs, réseaux d’échanges sélectifs en ligne sur Internet.

Quelques thèses et publications fameuses ont déjà montré la voie de ce que pourraient être des protocoles ambitieux d’enquêtes sociologiques qui couvriraient une grande variété de ces instances de pratiques discursives, parmi les plus impliquées dans la coproduction et la circulation des énoncés relatifs à tel ou tel débat de société, au sein de l’espace public comme au sein des cercles privés concernés. Parmi les pionniers, je citerais deux thèses qui font un large usage des interférences et influences réciproques des discours individuels, situés, et des discours publics, médiatisés : celle de Michèle Huguet (1971) sur le mal de vivre des femmes dans les nouveaux grands ensembles d’habitation [1] et celle de Serge Moscovici (1976) sur l’évolution des perceptions et représentations individuelles et collectives concernant la psychanalyse comme théorie et thérapie [2].

Quant à la thèse exemplaire de Colette Guillaumin [3], elle focalise davantage sur la dynamique intrapsychique, qui comporte compromis et conflits entre les diverses instances de la personnalité (inconscient – subconscient – préconscient – conscient, et/ou autres topiques, notamment freudiennes) – rappelant qu’il existe aussi de la communication intrapersonnelle.

Et les meilleurs prototypes de recherche d’envergure que je connaisse, focalisant sur cette interdiscursivité, voire sur cette circulation des discours, sont deux recherches distinctes à propos d’un même sujet sensible, les débats de société sur les politiques nationales d’immigration, en Suisse et en France :

a)      la recherche princeps, riche d’enseignements et à vaste bibliographie, de Ebel et Fiala (1983) à l’occasion d’un referendum dans la Confédération Helvétique.

b)      la recherche A.D.I. (Argumentation dans le Débat sur l’Immigration), à l’occasion d’un grand débat parlementaire français sur deux projets de loi, en 1997 (Desmarchelier & Doury, 2001) [4].

De même, la méthodologie mise en œuvre par les concepteurs et les praticiens du logiciel Prospéro (Chateauraynaud, 2003) part du principe que le traitement sociologique de débats publics exige en général le rassemblement en dossiers complexes de documents hétérogènes nombreux et variés, recueillis dans la durée. Plus précisément, Francis Chateauraynaud (2007) observe, exemples à l’appui, comment « la notion d’argument incorpore et renvoie en miroir le cadre dans lequel les choses sont énoncées, et plus généralement ce que l’on a désigné plus haut sous la notion de portée. Ainsi, la même phrase ou le même discours pourra être considéré comme un bon argument dans une négociation mais pas dans un débat public ».

Ces observations illustrent et enrichissent le paradigme de la circulation des énoncés entre instances de pratiques discursives. Concrètement, sur le plan méthodologique des analyses sociologiques de discours, à quoi peut servir cette typologie des instances de pratiques sociodiscursives,avec ces postulats descriptifs, ces arrière-plans théoriques ?

1 – Elle renvoie, par exemple, à des commentaires et analyses d’ordre sociolinguistique et/ou psychosociologique …

a)      … sur les problèmes des sources énonciatives (« signatures ») et des « adresses » : Qui dit [quoi] ? Au nom de qui, en tant que qui, de quel(s) lieu(x), ça parle ? De qui ça parle ? A qui ça s’adresse ?

Même lorsqu’on analyse des discours énoncés par ou pour un locuteur dit individuel, ce premier paradigme nous invite à poser les questions préalables suivantes, en amont de toute lecture des corpus : ce locuteur parle-t-il / écrit-il, ici et maintenant, à titre personnel ou privé ou bien en tant que …, au nom de telle ou telle instance collective (« au nom du Peuple français »), tel statut personnel ou tel rôle social (« en vertu des pouvoirs qui … »), voire tel principe d’action spécifique (« au nom du principe de précaution, .. de la Liberté ») ? Et ce locuteur porte-parole de tel groupement ou mouvement social, ne peut-on entendre dans ce qu’il/elle dit ou écrit que des propos officiels de ce groupement ou mouvement ?

On retiendra ici l’heureuse expression de dialogisme, chère à Bakhtine (Todorov, 1981, cité par Boutet, 1994, p. 65), pour démythifier l’individualisation des pratiques discursives, avec cette affirmation forte (double négation) : « Le discours rencontre le discours d’autrui sur tous les chemins qui mènent vers son objet, et il ne peut pas ne pas entrer avec lui en interaction vive et intense. Seul l’Adam mythique, abordant avec le premier discours un monde vierge et encore non dit, le solitaire Adam, … »

Concernant les cibles directes et indirectes des discours, les modes d’interpellation, avec quels marqueurs d’identité-désignation, de liens hiérarchiques : pronoms personnels, adjectifs possessifs, déterminants, images de soi et d’autrui (cf. les marqueurs de stigmatisation d’Erving Goffman, 1975), les ligarèmes d’Albert Assaraf (1993) ?

b)      … sur les marques de qualification des échanges, marques extra-linguistiques a priori et marqueurs repérables dans les paroles et discours échangés, par exemple : marqueurs de sympathie/ empathie/ antipathie, connivence ou méfiance, complicité ou hostilité, coopération/ compétition/ conflit, etc.

c)      … sur les contrats, stratégies et contraintes discursifs : contrats de communication, implicites et explicites (cf. l’importance accordée par l’ethnométhodologie à la notion d’appartenance, avec ses allants-de-soi qui facilitent la communication au sein des groupes), types et modes de contraintes, devoirs et droits de parole, de silence, de réserve, de secret, interdictions et obligations, autocensures des dominés ou des sans-voix, rôle des porte-parole, les plaidoyers pro domo et le plus subtil « ad hocing » des ethno-méthodologues (filtrage des arguments ad hoc), etc.

d)     … sur les processus de communication et d’influence analysés en psychologie sociale : par exemple le fameux « two-steps flow of communication » avec rôle de relais des « leaders d’opinion » (Katz, 1957), le syndrome de « rationalisation des actes de violence » (Milgram, 1974), etc.

e)      … sur les styles et la portée différentiels des énoncés oraux, selon les contextes, les habitus, et les instances impliquées : conversations privées, réunions restreintes en face à face (entretiens rémunérés de psychologie clinique, entretiens plus ou moins directifs et contraints d’enquêtes sociologiques, d’investigations policières), confrontations politiques et judiciaires (cf. l’apparat solennel des Parlements et des Tribunaux), manifestations publiques, négociations avec ou sans rapports de force, débats et meetings organisés, chansons, slams, medias, spectacles, etc.

f)       … et de même pour les textes écrits : correspondances privées, SMS, blogs et forums de discussion, rapports de commissions d’enquête, procès-verbaux d’assemblées, codes et textes de loi, chartes, textes constituants, presses écrites, messages de publicité et de propagande, ouvrages de sciences sociales et essais engagés, littératures, proverbes, dictons et aphorismes, etc.

 

2 – Elle invite à constituer des corpus de textes (écrits, parlés) non pas sur critères (socio)linguistiques de pratiques et de formes langagières mais sur critères (psycho)sociologiques de pratiques et de stratégies discursives, c’est-à-dire sans autres limites a priori que celles des thèmes qui définissent les objectifs et les problématiques spécifiques de chaque recherche, au cas par cas et sans illusion quant à l’exhaustivité ni même quant à la représentativité – ce pourquoi on sera parfois amené à parler modestement de bribes de discours.

Echo et caisse de résonance (à très large diffusion instantanée et simultanée) de conversations privées, d’images et slogans de manifestations de rue, de conflits et tous événements spectaculaires, voire aussi de discours et débats d’experts, certains mass-medias jouent un rôle éminent dans le dispositif des instances de productions discursives [5].

 

3.2. Deuxième paradigme : dialectique des principaux registres de sens 

La plupart des textes à analyser, tout au moins en recherche (psycho)sociologique, comportent une source d’hétérogénéité majeure, fondamentale, qu’il convient de traiter dès la première lecture lorsque cela peut se révéler pertinent. Tout d’abord, il convient de mettre à part ce qu’il est convenu d’appeler, depuis Austin (1970), les actes de parole (« speech acts ») ou énoncés explicitement performatifs stricto sensu, qui constituent en eux-mêmes des actes, généralement brefs ou ponctuels, dont l’effet pragmatique est immanent à l’énoncé, tels que : promettre, ordonner, promulguer, prononcer une formule rituelle, une sentence, déclarer l’amour /la guerre /la paix /le pardon, demander, remercier, injurier, s’excuser, etc. Ce type d’énoncé ne sera pas concerné par ce deuxième paradigme, qui en revanche prendra en compte toutes les autres formes de discours, pratiques sociales parmi d’autres, dans leur hétérogénéité et leur diversité.

Nombreux sont les travaux de recherche qui se réfèrent plus ou moins explicitement à cette hétérogénéité des discours, selon des critères que je vais désigner sous l’expression de registres de sens. Parmi les auteurs qui m’ont le plus directement et consciemment influencé pour l’élaboration de ces propositions paradigmatiques [6], je citerai surtout le linguiste Frédéric François (2005, pages 15-16) : « Mais si l’on admet que la caractéristique première du ‘sujet’ est l’hétérogénéité et d’abord l’hétérochronie du cours de ce qu’il perçoit, de ce qu’il sent, de ce qu’il fait et de ce qu’il dit ou écrit, alors il est inévitable que l’articulation différente de ces façons d’être aboutisse à des différences dans les façons individuelles d’être ‘sujet’ […] l’idée qu’un sujet ne se définit pas par des caractères positifs stables, mais par le fait d’ ‘être entre’. […] Mais ‘être entre’ signifie aussi une hétérogénéité interne, par exemple entre le ressenti et le su ou entre l’actuel et le lointain, espéré, craint, imaginé. »

Les premières enquêtes que j’avais déjà pratiquées dès avant 1960 dans le laboratoire de l’ethnologue Paul-Henry Chombart de Lauwe (1960) se distinguaient nettement des protocoles habituels d’enquête sociologique ou psychosociologique de l’époque et plus encore des enquêtes actuelles dites d’opinion, par leur longueur et par la multiplicité des registres selon lesquels on abordait les thèmes de chaque recherche – comme le seraient de longues conversations dirigées, pouvant durer plusieurs heures. Et les registres des questions étaient d’une part, celui des représentations mentales et croyances, individuelles et collectives – associé à celui des perceptions et images correspondantes du réel – et d’autre part, celui des valeurs, idéaux et aspirations – associé à celui des motivations, affects, besoins et satisfactions/ frustrations,.

C’est en analysant a posteriori la matrice conceptuelle de l’ébauche de mon propre questionnaire d’enquête de 1964 sur le « processus de maturation sociale » (Jenny, 1965) que j’ai pu élaborer ce cadre de référence théorique. Mais on pourrait évidemment imaginer d’autres grilles d’analyse, d’autres paradigmes, d’autres postulats, d’autres présupposés, d’autres mots pour les dire.

Cette terminologie de Registres de Sens se réfère aux deux définitions principales du terme français « sens », éminemment polysémique, qui correspondent aux deux processus articulés et aux deux polarisations dialectiques du Tableau 2 ci-dessous :

Tableau 2 : Sens, processus articulés et polarisations dialectiques

Principales définitions

du mot SENS

Deux Processus articulés

Double Polarisation dialectique

Notations simplifiées

a – SENS-Signification

praxéo-idéologique

interdépendance des pôles du Concret et de l’Abstrait

= C <–> A

b – SENS-Orientation

onto-axiologique

interdépendance des pôles de l’Etre et de la Valeur

= E <–> V

 

Le tableau bidimensionnel ci-dessous fournit une lecture synthétique, structurée, des quatre principaux registres de sens, CE (Percept), CV (Affect), AE (Concept), AV (Éthique), qui s’inscrivent à l’intersection booléenne des quatre espaces d’attributs théoriques que sont les pôles dialectiques Abstrait, Concret, Valeur, Etre.

Tableau 3 : Les quatre principaux Registres de Sens

Les interférences mutuelles, enchevêtrements, interpénétrations réciproques de ces quatre registres, provoquent une dynamique oscillatoire – « source d’énergie discursive » qui peut s’exprimer par des ambiguïtés et des ambivalences, des connotations, voire des dissonances cognitives et/ou axiologiques (cf. Malrieu, 2005).

Parmi les problématiques sociologiques qui se réfèrent explicitement aux mêmes concepts (la structure combinatoire en moins), j’attire l’attention sur le paragraphe d’un article de Francis Chateauraynaud (2004), intitulé « Affects, percepts et concepts » [1], qui contient les énoncés suivants : « Car la preuve émerge dans la confrontation de représentations et de perceptions dont l’expression varie au fil des épreuves. […] C’est parce qu’une série de doutes et d’incertitudes s’approfondissent aux points de jonction des représentations et des expériences dans le monde, que les acteurs s’engagent dans des enquêtes et inventent des procédures pour les résoudre. » (p. 14). « En laissant du jeu entre perceptions, représentations et jugements, |…]. Le sens de la réalité provient de la confrontation continue des affects, des percepts et des concepts. » (p. 20)

Une troisième dimension bipolaire de lecture et pré-analyse textuelle, tout aussi fondamentale et constitutive, vient complexifier le carré booléen de base ci-dessus des quatre principaux Registres de Sens, pour former un schéma en 3 dimensions, de structure cubique. Il s’agit de la dialectique Personne↔Société, notée P <–> S, dont on peut dire schématiquement qu’elle exprime à la fois :

– le fait que chaque locuteur peut s’exprimer en tant qu’instance Personnelle-Individuelle et/ou en tant qu’instance Sociale-Collective,

– et surtout le fait que toute (co)énonciation se situe dans un contexte d’interactions réciproques et d’influences complexes (cf. le dialogisme déjà évoqué plus haut).

Cette deuxième proposition paradigmatique n’est ni une panacée ni une grille d’analyse autosuffisante mais plutôt un socle commun proposé a priori comme préalable pour la lecture-analyse d’une très grande majorité de discours. Il est par ailleurs évident que l’analyse des actes non langagiers suppose un traitement spécifique complémentaire, bien qu’intégré aux analyses discursives, notamment pour rendre compte des substrats matériels (environnements naturels et techniques) de toute pratique sociale. Et, plus généralement, la question fondamentale suivante n’est pas traitée ici : comment problématiser et conceptualiser les articulations, l’enchevêtrement, de l’action et du langage sans asservir l’un à l’autre, pour pouvoir penser dans le même mouvement et la texture symbolique des actions et l’efficace pratique des paroles et écrits – dont on sait l’enjeu qu’ils représentent dans l’épistémologie sociologique (cf. notamment les postures contrastées de Durkheim et de Weber sur ce point crucial, Javeau, 1989).

Concrètement, sur le plan méthodologique des analyses sociologiques de discours, à quoi peut servir cette grille de lecture complexe en termes de Registres de SENS ? Elle peut tout d’abord inciter le chercheur à ausculter certaines expressions courantes vagues et ambiguës, qui doivent probablement leur fortune à leur polysémie ou à leur imprécision sémantique – voire à leur instrumentalisation – comme opinions et attitudes ou croyances et idéologies. On se posera alors, par exemple, la question de savoir si ces expressions recouvrent plutôt des représentations, des jugements de réalité ou plutôt des orientations axiologiques, des jugements de valeur, ou s’il s’agit d’un alliage mixte aux composants indiscernables, cet entre-deux (cf. François, 2005) qui n’est pas position statique intermédiaire mais mouvement de va-et-vient interactif, oscillation et interdépendance dialectiques, réciprocité de perspectives.

Ensuite, et plus systématiquement, ce cadre a priori d’analyse descriptive invite le chercheur-observateur de la réalité psychosociale à opérer une décomposition spectrale des discours – par exemple à l’aide de termes « inducteurs » [2] dont la variété illustre l’hétérogénéité fondamentale et constitutive de tout discours. Il s’agit donc d’interroger d’emblée les énoncés du corpus à analyser – à l’aide de quelques questions-clés – en amont des questions classiques relatives aux contenus thématiques informatifs proprement dits (de Qui / de Quoi / ça parle …? Où, Quand, Comment, Pourquoi, … ?). Si ces questions-clés ne sont qu’implicites, il s’agit de les expliciter pour identifier le/les registres de sens des énoncés, par exemple avec cette question à choix multiples [3] :

le locuteur dit-il (ou « veut-il dire »)… ce que lui-même (ou tel autrui désigné)….

perçoit du réel concret (sensations, informations, « percept »?

…et/ou en ressent, en éprouve (sentiments, émotions, « affect ») ?

…et/ou en comprend (conceptualisations, représentations, « concept ») ?

…et/ou « en pense » en bien ou mal (évaluations, critiques, « éthique ») ?

…avant même d’analyser les réponses sur « ce que » il (ou tel-s autrui-s désigné-s) perçoit, ressent, comprend, juge…

…sans ignorer bien entendu les éventuels effets pervers, duplicités, euphémisations, litotes, sous-entendus, requêtes implicites, procès d’intention, et autres hypocrisies discursives, qui font par exemple que « montrer c’est inciter ; décrire c’est prescrire » – comme on pouvait lire dans certaines critiques journalistiques du rôle de la télévision dans les émeutes de banlieues urbaines de novembre 2005.

La place manque ici pour exposer les développements et les implications théoriques de ce deuxième paradigme et pour en montrer les applications méthodologiques potentielles, ainsi que pour montrer davantage comment ces deux paradigmes complémentaires forment ensemble une construction conceptuelle cohérente.

 

4.  Conclusion : portée de ces propositions et perspectives d’avenir

Ces deux propositions paradigmatiques articulées contredisent les pratiques d’analyse de discours (notamment à base de lexicométrie) qui prétendent ne pas avoir de grille d’analyse a priori, par crainte des contaminations de la subjectivité, et qui reportent la phase d’interprétation le plus tard possible et le plus souvent sans autre garde-fous que la confrontation éventuelle entre collègues, après des traitements sophistiqués (statistiques ou autres) soi-disant objectifs et impartiaux.

Je suis quant à moi persuadé qu’on ne peut, sauf à se leurrer soi-même, se dispenser de grille d’analyse descriptive – c’est-à-dire d’un dispositif de questionnement a priori des corpus textuels – à ne pas confondre avec un système théorique d’hypothèses fortes fournissant des réponses à vérifier ou infirmer, ce qui n’est pas du tout le cas ici, mais pourrait l’être dans les phases ultérieures d’une analyse sociologique complète.

J’ajoute qu’il ne s’agit pas là d’une panacée pouvant se substituer à toutes nos pratiques habituelles mais plus modestement de préalables sociologiques généraux. Reprenant l’expression à la mode de socle commun, je dirais que de nombreuses options méthodologiques spécifiques et complémentaires peuvent et doivent se greffer sur ces paradigmes – selon les domaines de la vie sociale soumis à l’observation sociologique, selon les objets et problématiques de recherche et leurs orientations théoriques.

Par rapport aux applications informatiques éventuelles de ces propositions, il me semble que certains logiciels disposent déjà, au moins potentiellement et partiellement, de quoi prendre en compte ce genre de paradigmes (par exemple, Lidia, Tropes, Prospéro) [4]. Quoi qu’il en soit, la faisabilité informatique supposée de telles exigences ne saurait brider notre réflexion méthodologique. Inversant les rôles, pour une fois, ne pourrait-on pas – nous sociologues – prendre l’initiative de proposer à nos collègues, sociolinguistes d’une part et informaticiens d’autre part, l’équivalent d’un cahier des charges pour un ou plusieurs modules sociologiques de programme informatique, intégrables ou non à des logiciels existants ?

__________________________________________________________________________

Textes cités : références bibliographiques

Adam, J.M. (2002). « Texte et contexte ». Patrick Charaudeau & Dominique Maingueneau (Eds.), Dictionnaire d’analyse de discours (pp. 570-572). Paris : Seuil.

Adam, J.M. (2006). Textes/Discours et Co(n)textes. Pratiques, Juin 2006, n° 129-130, pp. 20-49.

Assaraf, A. (1993). Quand dire, c’est lier : pour une théorie des ligarèmes. Nouveaux Actes Sémiotiques, Université de Limoges, PULIM, n°28. Accessible à www.assaraf-albert.com/

Atifi, H., Gauducheau N., Marcoccia M. (2006). L’expression des émotions dans les forums de discussion Internet. Communication au 2ème Congrès de l’A.F.S. (Association Française de Sociologie), Bordeaux.

Austin, J.L. (1970). Quand dire c’est faire. Paris : Seuil, trad. fr. par G. Lane de How to do things with words. Oxford, 1962.

Benveniste, E. (1966). Problèmes de linguistique générale, tome 1 : recueil de 28 articles publiés entre 1939 et 1964. Paris : Gallimard, 356 pages.

Boudon, R. et Lazarsfeld (1965). P. Le vocabulaire des sciences sociales. Concepts et indices. Paris : Mouton, 309 pages.

Boutet, J. (1994). Construire le sens. Berne : Peter Lang, 217 pages.

Branca, S. (2002). “Ethnométhodologie”. Patrick Charaudeau & Dominique Maingueneau (Eds), Dictionnaire d’analyse du discours (pp. 236-237). Paris : Seuil.

Charaudeau, P. et Maingueneau, D. (Eds.) (2002). Dictionnaire d’analyse du discours. Paris : Seuil, 666 pages.

Chateauraynaud, F. (2003). Prospéro. Une technologie littéraire pour les sciences humaines. Paris : CNRS Editions, Coll. Communication, 406 pages.

Chateauraynaud, F. (2004). L’épreuve du tangible. Expériences de l’enquête et surgissements de la preuve. Raisons pratiques, Vol. 15. Paris : E.H.E.S.S.

Chateauraynaud, F. (2007). La contrainte argumentative. Revue Européenne de Sciences Sociales, n° 136. Paris : Vrin, pp. 129-148.

Chombart de Lauwe, P.H. (Ed.) (1960). Famille et Habitation, Tome II – Un essai d’observation expérimentale. Paris : CNRS Editions.

Coenen-Huther, J. (1989). Parsons et Gurvitch : exigence de totalité et réciprocité de perspectives. Sociologie et sociétés, Vol. XXI, n° 1, avril 1989, pp. 87-96.

Desmarchelier, D. et Doury, M., (Eds.) (2001). L’argumentation dans l’espace public : le cas du débat sur l’immigration. Rapport final d’enquête publié en mars 2001 par le Goupe de Recherche sur les Interactions Communicatives (GRIC – Université Lyon II) et le Groupe « ANAlyse de COrpus Linguistiques, Usages, Traitements (ANACOLUT – ENS de Fontenay-Saint Cloud), 413 pages.

Ebel, M. et Fiala, P. (1983). Sous le consensus, la xénophobie. Paroles, arguments, contextes (1961-1981). Lausanne : Institut de Science politique, 434 pages.

Feertchak, H. (1996). Les motivations et les valeurs en psychosociologie. Paris : A. Colin.

Filliettaz L. (2004). Présentation du n° 26 des Cahiers de linguistique française, n° spécial sur  « Les modèles du discours face au concept d’action », Université de Genève, pp. 10-23.

Filliettaz, L. (2006). La place du contexte dans une approche praxéologique du discours. Pratiques, Juin 2006, n° 129-130.

François, F. (2005). Article introductif au n° 111, mars 2005, de la revue Langage et Société, numéro spécial consacré à « L’institution pédagogique, l’écrit et le ‘sujet en formation’», pp 5-20.

Galatanu, O. (2003). La construction discursive des valeurs. Séminaire du CRF (dir. J.M. Barbier) sur « Valeurs et activités professionnelles ». Paris : L’Harmattan, pp. 87-114.

Glady, M. (1996). Communications d’entreprise et identités d’acteurs. Pour une théorie discursive des représentations sociales. Thèse de sociologie à l’Université de Provence, non publiée.

Goffman, E. (1975). Stigmates. Les usages sociaux des handicaps. Paris : Minuit.

Guillaumin, C. (1972). L’idéologie raciste, genèse et langage actuel. Paris-La Haye : Mouton. Réédité en 2002 aux éditions Gallimard, coll. Folio essais, 382 pages.

Huguet, M. (1971). Les femmes dans les grands ensembles. De la représentation à la mise en scène. Paris : CNRS Editions, 295 pages.

Javeau, C. (1989). Conversation de MM. Durkheim et Weber sur la liberté et le déterminisme lors du passage de M. Weber à Paris. Un dialogue philosophique. Bruxelles : Les Eperonniers.

Jenny, J. (1965). Le processus de maturation sociale de l’adolescence à l’âge adulte en milieu urbain contemporain. Rapport d’étape de convention de recherche pour la D.G.R.S.T., (Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique). Paris, 37 pages.

Jenny, J. (1983). Les discours sociaux sur « la jeunesse » dans les années 60 : production, circulation, évolution et articulation aux pratiques sociales et représentations collectives. In J.Ch. Lagrée et P. Lew-Faï (Eds.). La jeunesse en questions. Orientations de recherche et sources documentaires en sciences sociales. La Documentation Française, Paris, pp. 19-44. Sera accessible par un lien sur mon site.

Jenny, J. (1995). Rapports sociaux de sexe et autres rapports fondamentaux de dominance sociale : pour une intégration conceptuelle des rapports sociaux fondamentaux. Cahiers du GEDISST (Groupe d’Etudes sur la Division Sociale et Sexuelle du Travail), n° 13, pp. 109-130.

Jenny, J. (1997). Méthodes et pratiques formalisées d’analyse de contenu et de discours dans la recherche sociologique française contemporaine. Etat des lieux et essai de classification. Bulletin de Méthodologie Sociologique (B.M.S.), n° 54, pp. 64-112.

Jenny, J. (1998). Un nouveau paradigme pour penser le changement ? le processus d’individuation transductive, selon Gilbert Simondon. Les Cahiers de l’Implication, n° 1 – Groupe de Sociologie Institutionnelle. Université de PARIS-VIII, Département des Sciences de l’Education, Printemps 1998, pp. 31-44.

Jenny, J. (2000). Quelles logiques de recherche ? Article introductif du n° spécial de la revue Utinam (revue de sociologie et d’anthropologie), Paris : L’Harmattan, pp. 20-47. Ce n° spécial est intitulé « L’analyse des trajectoires : Ressources qualitatives et quantitatives ? ».

Jenny, J. (2004). “Quanti/ Quali” = distinction artificielle, fallacieuse et stérile ! Communication pour le 1er Congrès de l’A.F.S. (Association Française de Sociologie), Groupe RTF-20 (Méthodes), Villetaneuse.

Katz, E. (1957). The two steps flow of communication : an update report on a hypothesis. Public Opinion Quarterly, 21, pp. 61-68.

Leimdorfer, F. (2007). Les sociologues et le langage. Langage, sens et discours en sociologie.

Ce projet d’ouvrage, présenté au Laboratoire Printemps en Juin 2007 à l’appui d’une demande d’Habilitation à Diriger des Recherches – puis publié en avril 2011 aux Éditions de la Maison des Sciences de L’Homme de Paris – a donné lieu à un bref compte-rendu qu’on peut consulter sur le site suivant de la revue électronique Liens Socio :

http://www.liens-socio.org/Les-sociologues-et-le-langage

Malrieu, J.P. (2005). Des mondes possibles aux mondes conflictuels. Une approche sociologique à la sémantique. Résumé de thèse (traduit de l’anglais) accessible sur le site de la revue électronique Texto ! Textes et Cultures :

www.revue-texto.net/Inedits/

Milgram S. (1974). Obedience to Authority. An experimental view. New-York : HarperCollins.

Micheli, R. (2006). Contexte et contextualisation en analyse du discours : regard sur les travaux de T. Van Dijk. Semen, Revue de sémio-linguistique des textes et discours, n° 21, avril 2006, pp. 103-120.

Moscovici, S. (1976). La psychanalyse, son image et son public. Paris : PUF, 2ème édition.

Nuttin, J. (1980). Motivation et Perspectives d’avenir. Presses Universitaires de Louvain.

Pizarro, N. (1971). Langage et idéologie : à propos du récit. Thèse de doctorat de Troisième cycle en sociologie à Paris-X, Nanterre, non publiée.

Rastier, F (1998). Le problème épistémologique du contexte et le statut de l’interprétation dans les sciences du langage. Langages, n° 129, pp. 97-111.

Rastier, F (2005). De la signification au sens – pour une sémiotique sans ontologie.

Accessible à www.revue-texto.net/Inedits/

Schepens Ph. et Viprey, J.M. (2004). Exploration d’un discours schizophrénique. Communication orale au Groupe de Travail Analyse de Discours. Paris, M.S.H., 10 décembre 2004.

Simonin-Grunbach, J. (1975). Pour une typologie des discours. Langue, discours et société. Pour Emile Benveniste. Paris : Seuil, pp. 85-121.

Todorov, T. (1981). Mikhaïl Bakhtine : le principe dialogique ; suivi de Ecrits du Cercle de Bakhtine. Paris : Seuil.

Zarifian, E. (2005). Le goût de vivre. Paris : Odile Jacob.

______________________________________________________________________________

ANNEXE I

Essai de cartographie tridimensionnelle des différents types d’instances de pratiques sociales de notre société française contemporaine, dans lequel le signe [G] recouvre toutes les formes diverses et variées de « reGroupement social » : groupes et groupements proprement dits, mais aussi réseaux et mouvements sociaux, etc. …

* à ces 3 grands types de relations/ rapports sociaux« classiques » (ligne sous le tableau) s’ajoutent depuis peu des dispositifs de réseaux sociaux dits « virtuels » (N.T.I.C.) inclassables ( ?), parfois qualifiés d’interpersonnels de masse (Atifi, Gauducheau, Marcoccia, 2006) ou de transpersonnels (ma suggestion personnelle), tels que forums de discussion, sites personnels et blogs, réseaux d’échanges sélectifs en ligne sur Internet.

 

On pourra comparer cet essai de cartographie complexe à d’autres propositions plus simples, telles que par exemple la fameuse typologie de mon ancien maître Georges Gurvitch en « masse – communauté – communion » et sa notion de « paliers en profondeur de la réalité sociale ».

Evidemment de telles classifications à dominante « formelle » se combinent avec d’autres classifications en termes de secteurs à dominante « fonctionnelle » classiques, telles que ceux de toute sociologie « analytique » : familial, professionnel, scolaire, résidentiel, urbain/rural ; culturel, religieux, politique, syndical ; des Services, de l’Administration, de la Santé, de l’Habitat, des loisirs, du tourisme, des transports ; des catégories d’âge, de sexe (« gender studies »), ethno-culturelles (et « minorités »), etc. …

________________________________________________________________________________

 

ANNEXE II


Notes appelées dans le texte : 1ère série


[1] L’auteur remercie par avance tout lecteur qui voudra bien lui faire part de ses commentaires, critiques ou suggestions, par un courriel adressé à     jacquesjenny@aol.com

[2] J’ai fréquenté ces collègues surtout dans les collectifs de travail créés par mon regretté ami Pierre Achard, notamment la revue Langage & Société et le Groupe de Travail d’Analyse de Discours (GTAD) à la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) de Paris.

[3] Selon H. Garfinkel l’indexicalité est, avec la réflexivité, une des notions-clés de l’approche ethnométhodologique : propriété inhérente à toute production langagière, elle impose de référer (d’indexer) le sens des énoncés à leur contexte d’énonciation (cf. l’entrée « Ethnométhodologie », rédigée par Sonia Branca, dans Charaudeau & Maingueneau, 2002, pp. 236-237).

[4] Parmi les matériaux de recherche en sciences sociales, il existe d’autres documents non textuels, notamment les documents sonores (non verbaux) et iconiques. Ils ne seront concernés ici qu’à travers les commentaires et interprétations qui en sont faits dans le format textuel. Malgré la spécificité des analyses sociologiques de ces documents non textuels, je postule que les propositions paradigmatiques qui vont suivre peuvent s’appliquer à toutes les catégories de documents et « données », comme préalables théoriques et méthodologiques de portée générale.

[5] Quelques articles de synthèse pourront contribuer utilement à sensibiliser les lecteurs non-linguistes, comme par exemple les articles de (Rastier, 1998 ; Micheli, 2006).

[6] Cf. l’entrée « Enonciation », rédigée par Dominique Maingueneau dans (Charaudeau & Maingueneau, 2002), notamment la conception forte de cette problématique, p. 230.

[7] Le rôle attribué à ces contextes varie de la simple notion classique, triviale, de conditions d’énonciation (ou conditions de production discursive) à une conception praxéologique plus intégrée où l’on parle de contexte socio-pragmatique de l’interaction, articulé au texte (Adam, 2002, 2006 ; Filliettaz, 2004, 2006).

[8] Par pure convention de commodité, j’appelle ici relations sociales les pratiques d’interactions interpersonnelles qui se situent au niveau dit micro où prédominent les phénomènes de sociabilité dite face-to-face – et rapports sociaux les pratiques d’interactions collectives (partiellement impersonnelles ?) qui se situent au niveau dit macro où prédominent les phénomènes de socialité statutaire (de classe socioéconomique, de sexe ou genre, de génération, d’identification ethnoculturelle, etc.) – le tout en réciprocité de perspectives dialectiques, évidemment.

[9] Ou en « réciprocité de perspectives », selon les termes mêmes de Georges Gurvitch. On trouvera une discussion de cette vieille notion gurvitchéenne dans un article accessible sur Internet, dû à Coenen-Huther (1989).

[10] On trouvera une illustration concrète de cette circulation des discours dans Jenny (1983).

[11] Rapports inégaux, a-symétriques, voire antagoniques, entre classes socio-économiques, sexes, générations, groupes ethno-culturels, blocs géopolitiques, entre gouvernants et gouvernés, avec leurs effets de dominance – domination, exploitation, aliénation, exclusion – qui sont de nature sociétale mais qui traversent toutes les instances, y compris bien sûr interpersonnelles (Jenny, 1995).

[12] En référence à la philosophie ontogénétique de Gilbert Simondon en termes de métastabilité et de potentiels, de processus d’individuation transductive, philosophie méconnue qui m’est apparue comme éminemment féconde pour penser le changement, et que j’ai résumée et vulgarisée dans Jenny (1998).

[13] Celles de la sociologie dominante des années 60, telles que la propageait le fameux « Vocabulaire des sciences sociales » de Boudon et Lazarsfeld (1965).


Notes appelées dans le texte : 2ème et 3ème séries

[1] On remarquera qu’il y manque la case « Éthique » (= « Abstrait & Valeur »). Cette « lacune » est caractéristique de nombreux sociologues français contemporains, Pierre Bourdieu en tête, qui semblent ainsi vouloir se prémunir contre les dérives idéalistes, au risque de rester sous l’influence d’un matérialisme primaire, marxiste ou non.

[2] Selon l’expression de Nuttin (1980) dont la méthode est citée dans Feertchak (1996, pp. 135-140).

[3] On pourra trouver en Annexe (double Tableau pleine page) une ébauche de cette méthode d’interrogation sociologique des énoncés discursifs – en termes de décomposition spectrale des registres de sens.

[4] Pour un inventaire critique de ces logiciels, voir Jenny (1997).


[1] A partir de consultations psychothérapiques de femmes en déprime résidant à Sarcelles, rapportées à des articles de presse sur la « sarcellite ».

[2] A partir de discours de psychanalystes (catholiques ou communistes ou autres) et de patients (idem) rapportés à des déclarations officielles de l’Eglise Catholique et du Parti Communiste Français, au départ hostiles à cette nouvelle discipline.

[3] Sur la « race » comme modalité de distinction- exclusion et sur les phénomènes d’autocensure et de refoulement en matière de racisme quotidien dans le langage actuel [années 60] de la presse écrite à grande diffusion.

[4] Ce rapport de recherche analyse successivement sept grands corpus émanant d’instances diverses qui représentent les principaux éléments de ce que j’appelle dispositif circulatoire des instances de pratiques sociodiscursives concernées par ce débat. Si l’on considère ces deux projets de loi comme le corpus central du projet A.D.I., les corpus des autres instances sont de trois types : institutionnel, médiatique, et oral non-médiatique (discussions entre étudiants, conversations chez un marchand de journaux).

[5] C’est notamment le cas des journaux et débats télévisés qui sélectionnent, résument et amplifient les infos qu’ils estiment crédibles et dignes d’intérêt, contribuant ainsi largement à la production et à la cristallisation d’une pensée unique – surtout lorsqu’ils suscitent ou parrainent des sondages d’opinion et lorsqu’ils s’accouplent avec les nouvelles formules de communication interpersonnelle de masse (blogs et forums de discussion sur Internet).

[6] Notamment, Emile Benveniste (1966), Narciso Pizzaro (1971), Jenny Simonin-Grunbach (1975), Marc Glady (1996), Olga Galatanu (2003), Philippe Schepens et Jean-Marie Viprey (2004), Francis Chateauraynaud (2004), Jean-Pierre Malrieu (2005), François Rastier (2005), Edouard Zarifian (2005, pp. 86-90).

Laisser un commentaire