Fondamentaux de Sociologie dans la pensée et l’action politiques
Intégrer des fondamentaux de sociologie
dans la pensée, les discours et les pratiques politiques
ce texte reproduit, à quelques lignes près, le message que j’ai adressé sur le blog “Courrier citoyen“ de Vincent Peillon le 27-01-2012 comme réponse à son invitation “M’envoyer vos réflexions”
Je suis pour vous un “illustre inconnu” : ancien chercheur en sociologie du CNRS (à la retraite depuis 1998), et ancien militant syndical, environnemental et politique (militant de base du PSU et mandataire d’une liste autogestionnaire à une élection municipale) et maintenant engagé en dehors de tout parti politique dans des associations et comités de solidarité avec les chômeurs puis les étrangers sans-papier, et avec des villages de l’Afrique sud-saharienne, et au sein d’une association d’éducation populaire pour développer des rapports inter-culturels harmonieux – dans nos banlieues du Sud-Est parisien (le Val d’Yerres).
Mes expériences de vies professionnelle et militante m’amènent à proposer des éléments de réflexion que je crois susceptibles de vous intéresser, vous le philosophe-militant dont j’ai déjà apprécié quelques passages d’articles anciens déplorant l’absence de références sociologiques dans les pensées politiques actuelles de gauche comme du centre ou de droite – à dominante économique, voire (plus rarement) écologique.
Pour diverses raisons (notamment le fait que les propositions que je formule maintenant ont mis du temps à “mûrir”), je n’ai pas eu la possibilité de publier avant ma retraite des ouvrages “significatifs” et synthétiques sur les aspects originaux et fondamentaux de mes réflexions, mais seulement quelques articles et notes éparses à usage interne pour mes labos de recherche successifs ou pour des séminaires ou journées d’étude. C’est pourquoi j’ai créé récemment un site Internet personnel, encore embryonnaire, où l’on peut trouver une partie de mes travaux sociologiques – d’ordre théorique et d’ordre méthodologique – et une partie plus “engagée” – sur des problèmes plus ou moins “politiques” selon la période (avant et depuis 2001) – le tout en cohérence avec mes propositions liminaires d’ordre épistémologique et logique, que je considère comme des préalables incontournables et que je nomme “outils de la pensée complexe, dialectique, oxymorique”.
Dès maintenant mon site contient quelques allusions à ces “outils de la pensée” que je vais développer progressivement, en signalant les principaux auteurs qui ont le plus contribué à la genèse de ces outils : notamment le philosophe méconnu Gilbert Simondon et son paradigme diachronique du “processus ontogénétique d’individuation transductive” et, plus concrètement, un schéma d’analyse de tout rapport social en termes de métastabilité et de potentiels – selon la structure du “Chiasme” que le paradigme simondonien a inspirée à deux de ses disciples dès 1964, les psychologues Grisez et Lherbier. Pour plus d’informations sur ce paradigme et cette structure en Chiasme, et leurs applications empiriques, on pourra consulter la page suivante de mon site : http://jacquesjenny.com/legs-sociologique/?page_id=1368
Il s’agit bel et bien d’une rupture radicale avec nos modes de pensée dominants (certains n’hésitent pas à parler de “révolution copernicienne”), notamment la pensée dite “systémique” ou des reliquats de pensée déterministe-matérialiste. Ces nouveaux outils de la pensée devraient permettre de rendre opérationnelles – pour la recherche et pour l’action – les conceptions abstraites de certaines philosophies contemporaines qui ne sont pas contradictoires avec ce nouveau paradigme (notamment celles qui insistent sur la complexité, ou l’ “ambiguïté”, des faits sociaux – ou sur l’interdépendance des “points de vue” multiples, la “réciprocité de perspectives”, en sciences sociales).
Au risque de paraître prétentieux, j’ai la faiblesse de penser que de telles réflexions peuvent contribuer à gérer certaines contradictions ou apories apparentes, à rendre compatibles certaines oppositions stériles – tout en évitant le piège des consensus mous – et surtout, s’agissant de politique, de problématiser correctement les processus de transformation sociale, ni par volontarisme autoritaire ni par soumission à je ne sais quels déterminismes ni par projection idéaliste dans des lendemains u-topiques. C’est ce que je propose d’appeler une posture “oxymorique”.
C’est la raison pour laquelle je vous livre ces réflexions comme contribution aux débats que vous pouvez organiser et animer depuis votre blog – et peut-être même au-delà dans d’autres supports médiatiques.
Ces réflexions font suite à un texte de 4 pages que j’ai rédigé au printemps 2010 sur les revenus professionnels scandaleusement de plus en plus inégaux, en France, – en référence à un article de Jacques Julliard dans le Nouvel Obs. Cet hebdo n’ayant pas cru pouvoir publier ce texte, pas même partiellement, je l’ai mis sur mon site Internet à l’adresse suivante :
http://jacquesjenny.com/legs-sociologique/?page_id=21
Dans l’extrait ci-dessous, vous pourrez remarquer une expression, ici un slogan, que l’on peut qualifier d’ “oxymorique” :
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“C’est à cette condition que les nouvelles générations, a priori plus généreuses et moins contaminées par ces dérives abusives, pourront faire prévaloir la seule hiérarchie de valeurs capable de produire du “Vivre heureux ensemble, tous ensemble, … Malgré nos divergences d’intérêts“,
à savoir : Liberté et Égalité et Fraternité comme fins suprêmes – puis Solidarité et Laïcité comme moyens de cohabiter avec nos différences dans le respect de la liberté de chacun – et enfin (mais seulement “en fin”) la valeur-monnaie comme moyen de produire et échanger pour vivre dignement, répartie équitablement et fraternellement.
Pourquoi aurions-nous honte ou scrupule ou réticence à invoquer ainsi les plus beaux idéaux légués par notre Histoire, ceux de “la France qu’on aime” comme dit Martine, sans pécher pour autant par angélisme béat, ni tomber dans un idéalisme primaire qui ignorerait l’importance des rapports de force dans la réalité politique et économique ? Soyons dialecticiens, que diable !” …
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… et parions qu’un large consensus républicain est potentiellement réalisable, contre le slogan droitier individualiste et illusoire “Enrichissez-vous !” et pour refonder le lien social de la solidarité autour de cette hiérarchie de valeurs, surtout dans la phase actuelle où sont réunis beaucoup d’ingrédients de la métastabilité !
Le discours politique, progressiste et réaliste, que j’aimerais entendre dans l’actuelle campagne présidentielle, pourrait ainsi se fonder sur ce “slogan oxymorique”,
“Vivre heureux ensemble, tous ensemble, … Malgré nos divergences d’intérêts“,
– où la locution conjonctive “MALGRÉ”, qui exprime l’oxymore, interdirait la naïveté idéaliste du “tout le monde il est beau tout le monde il est gentil”, et serait un rappel permanent des injustices à combattre, comme autant d’obstacles à la réalisation de nos valeurs fondamentales,
– mais où la précision du “Vivre heureux tous ensemble” écarterait d’emblée les pratiques de contrainte violente, voire de vengeance, envers les récalcitrants et l’hypocrisie des déclarations démagogiques aseptisées – et impliquerait des stratégies de persuasion des opposants, réalistes mais non-violentes, faisant appel à des notions positives comme le “confort moral” pour compenser l’appauvrissement inéluctable des privilégiés, et situant les transformations du court terme dans le courant des évolutions à plus ou moins long terme.
Car il faut bien préciser que “nos divergences d’intérêts” ne sont pas de simples différences mais sont ce que je propose d’appeler les “Rapports Fondamentaux de Dominance/ domination Sociale” (en abrégé R.F.D.S.) – comme sont les rapports sociaux de classe (statut socio-économique), de sexe (ou “genre“), de génération, de communautés ethnoculturelles, de blocs géo-politiques, de gouvernance …, dont j’ai proposé une ébauche de conceptualisation dans un article de revue féministe dès 1995, reproduit dans mon site à l’adresse suivante :
http://jacquesjenny.com/legs-sociologique/?page_id=1323
… et qui sont devenus depuis peu un important thème de débat sociologique (pour éviter une longue bibliographie, je signale seulement ici le récent numéro spécial de la revue Raison présente intitulé “Articuler les rapports sociaux : classes, sexes, races” – n° 178 – 2ème semestre 2011).
En d’autres termes, il faudrait dans le même souffle,
1 – affirmer ou “reconnaître”, et ne jamais oublier, que nos rapports sociétaux les plus importants sont ces RFDS, non pas juxtaposés mais imbriqués et articulés entre eux – ce qui implique évidemment qu’on ne peut en aucun cas s’y résigner et qu’on doit poursuivre sans relâche les combats pour l’émancipation des classes et groupes de citoyen-ne-s dominé-e-s, sans hiérarchisation des luttes a priori.
A ce propos il est utile de se replacer dans le contexte historique des grandes conquêtes sociales récentes, notamment depuis l’application par le ministre communiste Ambroise Croizat du programme de justice sociale du Conseil National de la Résistance, avec ses mesures-phares qu’ont été la Sécurité Sociale, les régimes de retraite, les Conventions collectives. Et de même pour d’autres mouvements sociaux plus récents comme la décolonisation, comme le féminisme, (et Mai 68 ?) …
2 – … tout en fixant comme objectif commun, acceptable par le plus grand nombre de “citoyens” (parmi celles et ceux qui adhèrent à nos trois valeurs républicaines inscrites au fronton de nos écoles et de nos mairies et ne sont pas complètement addictes à la valeur “Pognon”), le “Vivre ensemble”, heureux et tous ensemble (patrons et actionnaires comme ouvriers, femmes comme hommes, jeunes et vieux comme adultes, peaux colorées comme peaux claires, d’origine “gauloise ou “membres rapportés” de fraîche date, administrés comme gouvernants), …
… sachant que cet objectif devient une nécessité d’autant plus impérieuse que se précisent les menaces de plusieurs évolutions négatives du “milieu naturel” (réchauffement climatique, épuisement prochain de certaines ressources naturelles cruciales, …), entraînant des risques de conflits mondiaux et de déplacements massifs de population, et une augmentation drastique des contraintes (non négociables) à intégrer dans tout programme politico-économico-social. Ce qui implique nécessairement, à mon avis, qu’on cesse de réduire tout progrès social au classique “taux de croissance économique” (comme si toute courbe de croissance pouvait ne pas connaître un jour son palier de saturation ?) et qu’on doive s’acheminer vers un régime de sobriété partagée – avec l’imagination au pouvoir pour concevoir des modèles de redistribution de l’emploi et des revenus (et des logements) sans condition absolue de croissance.
Sans développer davantage ici ces nouvelles problématiques, ni la trame de ces nouveaux discours mobilisateurs à inventer, je voudrais seulement indiquer que le paradigme simondonien des potentiels et de la métastabilité m’apparaît comme un cadre théorique général pertinent et fécond pour orienter le changement et les pratiques sociales aptes à transformer le monde. Dans un tel cadre, les programmes et projets politiques ne peuvent plus se limiter à de simples énoncés d’objectifs à atteindre (les fameux “programmes” des candidats X ou Y ou Z), dans la mesure où l’important ce n’est pas “la rose” mais c’est la manière de cultiver et de cueillir la rose, ce sont les pratiques à promouvoir pour déceler et mobiliser les potentiels positifs latents, et pour rassembler les énergies humaines nécessaires tout en neutralisant les potentiels négatifs – en jouant sur les principales “dimensions constitutives” de nos rapports au monde, à savoir la combinaison dialectique (un autre de mes paradigmes fondamentaux à prendre en considération) :
– de ce qui relève du cognitif, de la connaissance au sens large (incluant les images et représentations sociales de la réalité et de ses probables évolutions, mais incluant aussi les incertitudes, les croyances, les mythes, …), …
– … et de ce qui relève de l’axiologique, des “orientations de l’action”, de la hiérarchie des valeurs, des idéaux et modèles concrets, vivants, de comportement – c’est-à-dire tout ce que l’on peut constater “objectivement” comme préféré-préférable chez les acteurs individuels et collectifs, y compris bien entendu ce qui pourrait être considéré subjectivement et a priori comme des contre-valeurs, des contre-modèles ou des valeurs négatives (comme les intérêts matériels égocentriques et la cupidité sans borne).
Parmi les nouvelles valeurs à promouvoir pour neutraliser les effets peu enviables du “trop-plein de pognon” (cf. Liliane Bettencourt, et combien d’autres ?), on peut évoquer ce que d’aucuns appellent le “confort moral” auquel aspirent certains privilégiés du système actuel (parmi les patrons et gros actionnaires, parmi les stars du spectacle et du sport, et de la finance …) disposés à renoncer à leurs privilèges pour retrouver la fraternité solidaire de leurs concitoyens – cf. mon argumentaire pour la limitation des revenus “kolossaux”, que j’ai déjà évoqué comme précédente réflexion sociopolitique, à consulter sur mon site à l’adresse suivante :
http://jacquesjenny.com/legs-sociologique/?page_id=21
A ce propos, il ne faudrait pas, par principe idéologique anachronique, négliger l’appui de ces privilégiés lucides, et on pourrait même souhaiter que des prises de position individuelles comme celle de Louis Gallois se regroupent pour former un lobby des “patrons et stars républicains-solidaires” …
L’adhésion aux systèmes de représentations et de valeurs n’est jamais entièrement figée mais toujours – plus ou moins – susceptible d’évoluer, selon l’intelligence des “leaders d’opinion” et la fertilité des débats sociaux et surtout selon la capacité des mouvements sociaux à “faire bouger les lignes”, les mentalités, les espérances, la combativité : c’est le principe même du paradigme simondonien de l’ “individuation“, selon lequel le processus dynamique de transformation des personnes et des groupes sociaux et des classes sociales (au sens large, multi-critères, du terme “classes sociales”), interagissant au sein des “sociétés globales” (appelées elles-mêmes à en-glober des ensembles pluri-nationaux ?), prime sur leurs états “individués” successifs.
Je m’excuse de vous avoir infligé ce long bavardage, probablement indigeste et maladroit – avec comme seule circonstance atténuante la difficulté de partager en si peu de temps des convictions acquises au terme d’un long parcours de réflexions intellectuelles nourries d’expériences personnelles, dans le cadre de ma longue vie professionnelle de chercheur et militante de citoyen engagé.
Je souhaiterais par ce message pouvoir participer à ma modeste place, et hors de toute préoccupation partisane, aux efforts de refondation d’un “discours” mobilisateur pour les changements nécessaires …. en-deçà de tout “programme” et sous-jacent à tout “projet”.
J’espère avoir au moins suscité de l’intérêt, ce qui signifierait que (selon Simondon précisément) mes propositions auront rencontré chez vous un potentiel d’écoute, une métastabilité de votre pensée. Et, pour conclure ici cet exposé, je voudrais concéder que le principal obstacle qui menace la juste compréhension de ma posture “oxymorique”, c’est d’être confondue avec une position “centriste”.
Certes on pourrait dire, en paraphrasant un slogan publicitaire bien connu, que “ça ressemble à du ‘Bayrou’ (ou à tout autre qui se déclare ‘ni de gauche ni de droite’), ça goûte un peu le centrisme – mais ce n’est pas du centrisme”, car les centristes n’ont pas l’air persuadés que les inégalités sociales sont provoquées par des rapports de force (dominations brutales ou dominances subtiles) et ne sont pas que des différences accidentelles (“accidents de parcours”) à corriger.
Et si, au contraire, on peut penser que “ça ressemble à du ‘Mélenchon’ (ou à tout autre qui veut tout casser et ‘punir les coupables’ pour instaurer la justice sociale), ça goûte un peu l’extrêmisme de gauche – mais ce n’est pas de l’extrêmisme, car on se contraint à vouloir aussi et simultanément tout faire pour “vivre ensemble, tous ensemble et dans un bien heureuse sobriété partagée (exploiteur-e-s comme exploité-e-s)” … d’autant plus que, semble-t-il plus que jamais en ce moment précis de l’histoire humaine, c’est une nécessité de progresser pacifiquement (par la persuasion et la patience, non-violemment) et solidairement, en exploitant les potentiels d’humanité de toute personne, fût-elle coupable d’injustices, pour la transformer “dans son propre intérêt à terme”
Car, et c’est peut-être là le fondement ultime des croyances auxquelles m’ont conduit mes réflexions, je suis (presque) persuadé que les exigences éthiques que m’ont léguées mes devanciers et leurs modèles de conduite rejoignent – “au bout du compte” – les exigences à la fois sociologiques, écologiques et environnementales – et probablement aussi les véritables “contraintes économiques”, si on admet de les définir sans a priori idéologique.
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jacques JENNY,
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