Méthodes et Techniques

Recherche sociologique :

Méthodes et Techniques en sciences sociales


Une bonne moitié de mon temps de travail professionnel, toujours sur statut de chercheur au CNRS, a été consacrée à des recherches et à des tâches “normalement” dévolues aux personnels désignés comme “collaborateurs” – sur statut I.T.A. (Ingénieurs-Techniciens-Administratifs). Ce qui fut souvent jugé comme une anomalie par les Commissions qui gèrent les carrières des chercheurs, au nom d’une conception très hiérarchisée de la division du travail scientifique, peut en fait s’expliquer dans mon cas par cette double raison :

1 – j’ai toujours été persuadé que les différents aspects, ou les différentes phases, de l’activité de recherche sont intimement, inextricablement, interdépendants : conceptualisation théorique, énonciation des paradigmes fondamentaux, dévoilement-explicitation des présupposés (implicites par définition), construction des problématiques de recherche, réalisation des enquêtes empiriques, analyse des “données” (construites) d’observation, … font partie d’un même continuum de production de connaissance – dont les différents “moments” se fécondent mutuellement. D’ailleurs, on peut et doit utiliser les mêmes “outils de la pensée” pour traiter en cohérence tous ces chaînons de la chaîne de production : par exemple, à quoi servirait de proclamer incontournables les principes de “complexité des faits sociaux”, de “pluralité des points de vue”, voire de dialectique et d’ambigüité et de “logique non-binaire”, … si l’on continue de penser et d’analyser en termes cartésiens, de catégoriser le réel sur le mode “disjonctif”, de nier ou sous-estimer les “effets d’interaction multifactoriels”, … et si l’on s’abstient d’exploiter les ressources subtiles de la logique moderne (ex. l’ “hexagone logique” de Robert Blanché), de la pensée ni cybernétique ni systémique (ex. le modèle de communication “en chiasme”, inspiré du philosophe Gilbert Simondon), voire de la rhétorique – telles que les oxymores, l’ironie ?

Et si le volume de certains programmes de recherche peut exiger un minimum de division du travail, cela ne peut se faire en subordonnant certaines tâches, réputées matérielles et techniques, à d’autres réputées intellectuelles et conceptuelles – mais cela doit mobiliser des équipes soudées par les mêmes principes, une même charte, une même “culture scientifique”.

2 – la conjoncture, humaine et budgétaire, de mes labos de rattachement successifs, ne permettait pratiquement pas d’offrir aux chercheurs le minimum vital d’assistance technique et administrative nécessaire pour l’accomplissement de leurs projets ou adaptée aux besoins spécifiques de chacun. Ce qui m’a contraint et permis de “toucher à tout” – de la conception des projets à toutes les facettes de leur réalisation, y compris celles habituellement “sous-traitées” comme le traitement statistique des discours et réponses des enquêtés. On pourra d’ailleurs constater dans mon Curriculum Vitae et ma bibliographie que certaines incursions dans des domaines comme l’analyse statistique m’ont amené à proposer de nouvelles techniques de calcul plus adaptées à mes conceptions méthodologiques – et même à développer un logiciel original de saisie et dépouillement d’enquêtes sociologiques (en prolongement d’un programme déjà écrit à l’Université de Franche-Comté).

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En effet c’est parce que j’étais conscient de l’inadéquation des pratiques dominantes en matière de traitement des “données” d’observation que je me suis beaucoup investi dans la recherche statistique – au point d’inventer une méthode de traitement des répartitions numériques pluridimensionnelles (inspirée de la théorie de l’information) – et dans la réalisation d’un prototype de “règle à calcul informationnel“, puis dans la programmation informatique, compléments indispensables pour la mise en oeuvre de cette méthode. Et je suis persuadé de n’avoir fait ainsi que mon devoir de chercheur … même si les rapporteurs du Comité National du CNRS (section de sociologie), mes juges qui n’y comprenaient pas grand chose, n’appréciaient guère ces jeux “normalement réservés” à d’autres.

L’apparition des ordinateurs de bureau a un peu bousculé cette division du travail de recherche, mais nos éminents professeurs et directeurs de recherche n’y ont d’abord vu qu’un gadget et ont retardé leur diffusion dans nos labos et puis, ne pouvant plus s’y opposer, ils n’appréciaient guère au début que des chercheurs s’emparent de ces outils au point de concevoir eux-mêmes des logiciels, là où l’offre commerciale était inadaptée. C’était déjà vrai pour les applications de type mathématique et statistique – et ce fut aussi le cas pour les applications de type littéraire et sociolinguistique : les chercheurs qui ont conçu des programmes informatiques pour analyser des corpus textuels n’ont pas toujours reçu, ni en France ni à l’étranger, la reconnaissance institutionnelle à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.

Tout cela pour dire que mes travaux sont parfois difficiles à classer dans les catégories usuelles de tout travail intellectuel, et que je tiens à affirmer la nécessaire interdépendance de leurs différentes facettes, leur bienheureuse fécondation mutuelle – que j’ai eu la satisfaction d’éprouver directement …

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On retrouvera cette même exigence de cohérence entre les aspects théoriques et méthodologiques de la recherche sociologique dans les deux grandes périodes de ma “carrière” de chercheur, qui ont successivement porté sur des types de méthodes habituellement distinguées, et désignées sous les termes opposés que je récuse – à savoir les méthodes dites “quantitatives” et les méthodes dites “qualitatives”, auxquelles je me suis surtout intéressé après mon départ en retraite.

C’est par une communication au premier Congrès de l’AFS (Association française de sociologie) que j’ai fait connaître mon allergie à cette distinction solidement établie dans les mentalités, les discours et les pratiques de tous les sociologues – distinction que je dénonce comme fallacieuse et contre-productive. Cette conception ne fut guère remarquée des sociologues de type universitaire mais elle a fait l’objet d’un commentaire enthousiaste de la part d’un collègue travaillant en bureau d’études, Daniel Bô.

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